vendredi 22 octobre 2010

Fantastic Four 1234 par Grant Morrison et Jae Lee

Le cinéma a le film choral, avec ses personnages au destin unique, qui se croise, et dont, parfois, la route se rencontre brièvement. « Fantastic Four 123 » n’est pas un film, et les protagonistes se connaissent, mais la structure du récit évoque ce style de cinéma. 4 héros, 4 épisodes, 4 destins, toujours intimement liés, malgré 4 caractères si différents. Les conflits puérils entre la chose et la torche ont toujours donné un peu de sel à la série, tandis que les disputes entre Sue et Reed Richards rythment les aventures cosmiques, parfois avec suffisamment de violence pour que le lecteur s’inquiète de l’avenir du couple, à la manière d’un Homer Simpson cherchant à se faire pardonner de Marge après avoir fait une trop grosse bêtise.


Cette fois, il n’est pas question de voyager dans l’espace pour sauver l’humanité, ou de préparer la défense de la terre contre Galactus. Le récit tout entier se nourrit de l’aspect intimiste qui définit cette famille extraordinaire. Car à la manière des X-men (certaines de leurs incarnations du moins) les 4 fantastiques sont plus une famille qu’une équipe. Un constat qui n’a pas échappé à l’auteur écossais et prolifique Grant Morrison. Le premier épisode nous montre un Ben Grimm (AKA la chose) dans un état d’esprit qui n’est pas sans rappeler Bruce Wayne lorsqu’il effectue sa visite annuelle de crime alley. Espérant opérer un retour au source, le héros à l’allure monstrueuse se rend dans le quartier de son enfance, et, en voulant aider à sa manière un peu bourrue les autorités, va s’attirer les foudres la population.



Si l’équipe a toujours été considérée comme plus ou moins populaire auprès de la population, la chose a toujours été le vilain petit canard du groupe. Au-delà de son apparence, c’est son côté cynique et ses manières un peu rustique qui ne lui ont jamais permis d’aspirer à la popularité du charmeur Johnny Storm ou du brillant Reed Richards. Cette entrée en matière, mélange de mélancolie, de rancœur et de solitude est illustré avec efficacité par Jae Lee. Le dessinateur est parfait pour retranscrire les atmosphères sombres, voire sinistres. Le côté statique de ses dessins illustre très bien l’inertie de personnage écrasés par leur sort, en particulier lorsqu’il s’agit de montrer la chose avec le moral dans les chaussettes (du moins s’il en portait).

 On ne peut s’empêcher de ressentir une atmosphère pesante liée au traumatisme du 11 septembre, d’où un sentiment de crise omniprésent. La tension entre les différents personnages est palpable et devient aussi étouffante pour le lecteur que pour eux. L’utilisation d’éclairs sur fond de ciel rouge n’est pas sans rappeler ce motif récurrent utilisé par Morrison pour « Batman Rip » et « Final Crisis ». Tous ces éléments font de « fantastic four 1234 » une œuvre mature, dénuée de l’aspect cartoon que l’on peut parfois associer à la série. Le format Marvel Knights n’est d’ailleurs sans doute pas étranger à ce parti-pris. Rapidement, l’aspect super-héroïque, déjà plus évoqué que réellement montré, cède le pas à l’horreur lorsque Ben Grimm se laisse piéger par son désir d’être, et de ne plus être une chose. Visuellement cette scène est aussi puissante que poignante, évitant les artifices grossiers. C’est justement cette sobriété qui donne toute sa force à ce passage perturbant, très proche d’un « Johnny s’en va en guerre », et rappelant furieusement le cauchemar qu’était « L’échelle de Jacob ».


 

Chaque épisode étant dédié à l’un des personnages, l’ambiance va être radicalement différente par la suite. Finies les cadres horrifiques mais réalistes, même si la mélancolie est encore très présente. Et si Reed Richards ne sera que peu présent jusqu’au dernier épisode, les autres personnages apparaissent régulièrement, même si leur arc narratif est défini principalement par un épisode. Le côté cinématographique appuyé va prendre une tournure différente, avec un découpage plus proche des standards actuels de série tv. Une discussion entre Sue et Alicia Masters sera notamment ponctuée de gros plans détaillant l’évolution des actions. Et si les problèmes que rencontrent les protagonistes sont très humains, c’est aussi parce que les petites touches d’humour viennent dédramatiser un ensemble qui pourrait rapidement virer au mélodrame de soap opéra.

L’alternance des points de vue confère un rythme entrainant, les situations des uns faisant écho à celle des autres. Entre un Ben Grimm au bout du rouleau, son chemin de croix rappelant cruellement sa lutte quotidienne, une Sue, prisonnière d’une relation conjugale parfois étouffante et frustrante, et un Johnny Storms partagé entre son désir de profiter de la vie et son amitié, chacun va devoir trouver comment se libérer de son fardeau sans les autres… ou pas, comme vient nous le rappeler l’utilisation visuelle répétée du 4, symbole de l’équipe…



Thématiquement, le récit est donc très riche, mettant en perspective les actes « héroïques » de nos protagonistes par le biais d’un antagoniste qui pourrait être davantage que victime qu’on pourrait le croire. Ce discours à la limite du nihilisme apporte beaucoup de profondeurs aux actes des personnages, et on comprend que chacun a des motivations aussi uniques que crédibles. 1234 est davantage une introspection, voire une psychothérapie familiale qu’un récit d’action. Certaines idées sont non seulement brillantes, mais illustrées avec beaucoup d’audace et d’efficacité, comme la prise de conscience de Ben Grimm, au découpage frénétique, qui donne une impression de relief puissante, et où la notion de combat prend un sens tout à fait différent de ce qu’on s’attendrait à voir. La claustrophobie générale et la non vie que l’on ressent parfois sont également contrebalancées par des sursauts de volonté et quelques retournements de situation justifiés par un emploi très cohérent des seconds rôles.

Quand vient enfin l’heure des règlements de comptes, et que le grand héros, le génie Reed Richards daigne enfin se montrer, le suspense est à son comble. Est-il suffisamment intelligent pour imaginer, dans le peu de temps à sa disposition, un plan lui permettant de sauver sa famille en pleine déliquescence ? Et le héros en est-il vraiment un ? Le récit nous fait douter avec maestria, et les suggestions qui sont faites apportent une épaisseur bienvenue aux personnages.



Au final, « Fantastic Four 1234 » n’est peut être pas une œuvre inoubliable, mais sa mélancolie, sa réflexion introspective et ses personnages attachants en font une lecture excellente.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire