jeudi 31 mars 2011

Dead rising 2

A sa sortie en 2006, le premier Dead Rising s’imposait comme une alternative à la plus célèbre série de jeux vidéo dédiés aux morts-vivants, Resident Evil. Le cadre du mall, ces gigantesques centres commerciaux américains, rappelait le Dawn Of The Dead de Georges A. Romero, clin d’œil qui ne pouvait qu’interpeller les fans. Un parti-pris d’ailleurs très bien exploité, qui fit de cette exclusivité xbox360 un argument plus que suffisant pour justifier l’achat de la console de microsoft.  Cette suite est multi-supports, mais ses deux extensions ont été réservées au xbox live. Dead Rising : Case Zero est sorti avant le jeu sous forme de jeu xbox live arcade ne nécessitant pas la possession de Dead Rising 2. Présenté comme un chapitre faisant le lien entre le jeu d’origine et cette suite, Dead Rising : Case Zero a beaucoup fait parler de lui. Un grand nombre de joueurs y a vu une tentative d’introduire des démos jouables payantes. Dans les faits, ni le lieu de l’action ni les missions proposées n’existent dans le jeu principal. Les personnages rencontrés et les missions sont également inédits. Cette extension reste dans l’esprit du titre, dont elle donne un aperçu clair, tout en permettant de découvrir le protagoniste et les futurs enjeux dramatiques. La petite ville possède une atmosphère de western moderne qui donne un côté plus humain aux zombies qu’un gigantesque centre commercial. C’est le quotidien des habitants qui se connaissent et mènent, ou plutôt menaient, une vie simple qu’on découvre. A ce titre, il s’agit d’une introduction intéressante qui remet en perspective le drame humain de Chuck Greene. Frank West, héros du premier épisode, était un personnage intéressant, mais sa quête du scoop ne permettait pas un réel investissement émotionnel du joueur. Certaines scènes de décès possédaient une fulgurance dramatique réelle, mais globalement le traitement restait léger. Avec Dead Rising : Case Zero, on a réellement l’impression de vivre une course contre la montre pour sauver un être cher, ce qui génère davantage de tension. Si elle n’est pas indispensable à la compréhension du récit, cette extension a donc une légitimité tant narrative que ludique, qui en fait bien plus qu’une démo payante.



Mais elle a une autre raison d’être : Blue Castle, équipe de développement canadienne qui succède au studio d’origine, a rencontré des difficultés qui ont été la cause de délais importants avant la sortie. L’extension devenait donc une alternative salvatrice pour des joueurs pour qui l’attente devenait réellement insoutenable. Un retard d’autant plus regrettable que le marketing entourant le développement était plus qu’alléchant. Les photos, les vidéos et toutes les informations présentées, donnaient à Fortune City un attrait aussi flamboyant que ses casinos dignes des palaces de Las Vegas. Malgré ce changement de cadre, la première partie permet de découvrir un produit très proche du jeu d’origine. Protagoniste lent et faible, cadre démesuré, zombies innombrables et objets du quotidien transformés en armes mortelles, tous les ingrédients sont réunis. Une fois de plus, le récit s’installe progressivement de manière à présenter ses enjeux avant de réellement nous lâcher dans cet immense bac à sable. La construction du jeu est de toutes manières similaire à celle du premier épisode, et ce en presque tous points. Seuls deux éléments manquent : les photos qui rapportent des points d’expérience, et le mode illimité qui permettait de redécouvrir l’aventure en restant en vie le plus longtemps possible sans pouvoir sauvegarder. La seule véritable nouveauté a été fièrement présentée bien avant la sortie. Il s’agit de la possibilité de bricoler deux objets ensemble pour créer une arme inédite aux effets dévastateurs. Bien sûr, on ne peut pas assembler ce qu’on veut, et c’est en découvrant des cartes de bricolage qu’on aura connaissance des combinaisons les plus spectaculaires. De ce point de vue, la diversité est au rendez-vous, et les mises à morts sont toutes plus sanglantes (et amusantes) les unes que les autres. Même la moto, qu’on aura l’occasion de conduire à plusieurs reprises, est mise à profit pour utiliser la classique tronçonneuse. Cette possibilité est donc amusante, et on y a recours de façon systématique. Mais dans les faits, elle ne modifie pas la façon de jouer.



Les mécanismes sont les mêmes qu’autrefois, et on retrouve avec soulagement le simili temps réel. Cette obligation de s’adapter à des contraintes de temps rappelait l’esprit de la série tv 24, et donnait un cachet unique au premier opus. Si la surprise n’est plus au rendez-vous, l’obligation de s’adapter à un emploi du temps précis pour mener l’intrigue à son terme est immersive et donne beaucoup de rythme aux événements. Les phases horaires sont néanmoins suffisamment larges pour laisser au joueur l’occasion de se promener un peu et de massacrer avec allégresse une armée de goules. Leur nombre était déjà impressionnant dans le premier épisode, mais cette fois, les développeurs se sont surpassés et il est parfois très difficile de faire un pas sans avoir à tuer une dizaine de zombies avant de pouvoir avancer. Les modèles sont d’ailleurs plutôt variés, et même si la plupart reviennent à plusieurs reprises, leur diversité suffit à créer un semblant de réalisme de ce point de vue. Dans un cadre si spectaculaire, parvenir à créer une approche intimiste est intéressant. Les relations entre Chuck et sa fille sont ainsi très touchantes. Malheureusement, l’histoire en elle-même reste peu intéressante. Une fois de plus, on ne dépasse pas l’idée de l’expérience scientifique et des vivants plus monstrueux que les morts, traitement déjà maintes fois utilisé. De plus, les situations et les dialogues sont dignes d’une série B. Ce traitement permet néanmoins de dépeindre une galerie de personnages réjouissants. On retrouve les fameux psychopathes, ces gens qui ont sombré dans la folie suite à l’épidémie zombie. Ces rencontres sont l’occasion d’affrontements rageux qui cassent le rythme des échauffourées avec les morts-vivants. D’une difficulté parfois élevée, ces combats mettent en exergue la nécessité de faire progresser son personnage avant de réellement se lancer dans la résolution de l’histoire. En effet, c’est en tuant, mutilant, utilisant des armes trafiquées et remplissant des objectifs qu’on gagne des points d’expérience et qu’on monte de niveau, le plus haut étant le niveau 50. Perdre la partie et recommencer l’histoire ne signifie pas que tout est à refaire. Au contraire, on conserve les points acquis, ce qui permet de progresser en étant de plus en plus fort. On débloque ainsi de nouvelles capacités presque indispensables pour affronter certaines situations.




Car tout en étant plus simple d’accès, Dead Rising 2 reste plus difficile que beaucoup de jeux récents : il n’y a toujours pas de sauvegarde automatique, et les points de sauvegarde, plus nombreux qu’avant, sont éparpillés. Ce parti-pris qui peut paraître frustrant s’inscrit dans la logique du jeu et contribue à le rendre stimulant. Ainsi, pour réellement prendra plaisir à trucider des zombies à coups de poêle à frire, il faut s’investir. Du moins si on veut en saisir toute la richesse. Dans le cas contraire, le choix est possible. On peut ne pas s’intéresser à l’intrigue et appréhender le jeu comme un simple beat ‘em all. Se promener en affrontant des milliers de zombies en s’armant de tout ce qui nous passe sous la main est de toutes manières toujours aussi jouissif. Et si cela ne suffit pas, il reste encore la possibilité d’escorter des survivants en lieu sûr. Plus rusés que ceux du premier jeu, ils sont suffisamment agressifs pour nous accompagner longuement sans qu’on ait à se soucier de leur sécurité. Chuck est également plus maniable que Frank West, et malgré sa rigidité, le diriger reste agréable. Les morts-vivants sont lents et bêtes, mais leur nombre compense ces éléments, proposant un joueur un authentique défouloir. Le sang coule à flots et on se régale en explosant les cranes des goules. Le plaisir de jeu est donc bien réel quelle que soit la façon d’appréhender Dead Rising 2. Mais cette satisfaction est également due au cadre. Visuellement, il y a une nette amélioration depuis le premier Dead Rising, même si on n’atteint pas la finesse des grands noms du moment. Mais en prenant en compte le nombre incroyable de zombies à l’écran, la performance reste très appréciable, en tout cas sur xbox360. Fortune City se présente comme un centre commercial, mais son atmosphère n’a rien à voir avec celle de Willamette. L4ambiance Las Vegas avec les innombrables néons est parfaitement retranscrite. Chaque casino possède une âme qui lui est propre et remplit nos yeux d’étoiles. Les galeries marchandes proposent un large choix d’objets, de vêtements et d’armes, ce qui permet de varier les exécutions. L’immense cour centrale est un lieu intéressant qui donne la sensation d’être dans un parc d’attractions. Car c’est bien ça l’âme de ce Dead Rising 2 : nous donner la possibilité de passer d’un thème à un autre en massacrant des zombies à tour de bras.



Au final, l’équipe de Blue Castle décide de ne pas changer une équipe qui gagne, et malgré le manque de nouveautés, on prend beaucoup de plaisir à jouer un nouveau personnage en suivant les règles de cette série toute jeune qu’on espère voir continuer !

lundi 28 mars 2011

Sunshine

Habitué des mises en scène destinées à la télévision, c’est au milieu des années 90 que le réalisateur Danny Boyle atteint la renommée en réalisant successivement Petits Meurtres Entre Amis, Trainspotting et Une Vie Moins Ordinaire. Artiste versatile, il refuse de confiner son cinéma à un genre en particulier et multiplie les expériences. En 2002, il se lance pour la première fois dans le fantastique avec 28 Jours Plus Tard, qui rend populaire les fameux infectés qu’on confond souvent avec des zombies, alors qu’ils sont plus rapides que ces derniers, et surtout qu’ils ne sont pas morts-vivants. Avec Sunshine, l’artiste revoit ses ambitions à la hausse, puisque le budget est trois fois supérieur à celui de 28 Jours Plus Tard. De même, le travail sur les effets spéciaux défie toutes les expérimentations visuelles que le réalisateur a eu l’occasion de mener jusque-là. Pourtant, Sunshine reste une petite production au regard des blockbusters hollywoodiens au sujet proche. Le film de Michael Bay, Armaggedon, dont les enjeux dramatiques sont très proches, dispose à titre d’exemple d’un budget plus de cinq fois supérieur. Mais là où le cinéma américain livre un film au sentimentalisme exacerbé, qui privilégie l’émotion romantique, le réalisateur britannique préfère une approche plus intellectuelle, qui peut paraître plus froide de prime abord. La science-fiction d’anticipation n’exclut pas nécessairement l’émotion, comme l’a prouvé Andrew Niccol avec son Gattaca, mais on retrouve souvent une atmosphère désespérée plutôt qu’un monde de romance. Que ce soit dans les écrits de A. E. Van Vogt, de Asimov, ou de K. Dick, c’est avant tout la peur d’un monde en proie à la perte d’humanité et à la paranoïa qui caractérise la science-fiction. Si l’on devait se fier à l’imagination de ces artistes pour qualifier notre futur, on pourrait parler d’un sentiment de perte avant toute chose.



Un constat qui s’illustre dès les premières images, qui s’ouvrent sur un travelling approchant du soleil, dont on apprend par la voix off de Capa, le personnage interprété par Cillian Murphy, qu’il est sur le point de s’éteindre. Passée cette brève introduction, Boyle n’aura plus recours à cet artifice et limitera au maximum les scènes d’exposition. Si bien que le spectateur est immédiatement dans le feu de l’action. Ce parti-pris confère une cohérence au récit, puisqu’à aucun moment le réalisateur n’abreuve le spectateur d’informations superflues. Pourtant, le rythme n’est pas frénétique, loin de là. Il s’agit davantage d’un film psychologique que d’un film d’action. La mise en scène s’annonce d’ailleurs plutôt calme dans un premier temps, alternant plans fixes et travellings lents, qui permettent de découvrir les lieux, de contempler les réactions des protagonistes, et de s’immerger dans l’espace. Et c’est bien là l’une des forces, sinon la force de Sunshine. Nous faire ressentir le vide, le calme de l’espace, mais aussi le tumulte des relations entre les astronautes, confrontés à une tragédie aussi imminente que probablement inévitable. La scène du cauchemar de Capa est très représentative de cette alternance, puisqu’on passe d’un montage très nerveux à une scène de dialogue lente et apaisante. On constatera d’ailleurs que les deux dialogues entre ces personnages sont filmés de profil, comme si leur destin était peint comme il devait l’être quoi qu’il puisse arriver. Très peu de détails sont donnés sur les protagonistes, et on apprend leur prénom tardivement, on pourrait donc imaginer qu’il est difficile de s’identifier ou de s’attacher à eux. D’autant plus que tous ont des personnalités très fortes. Mais la direction d’acteurs est excellente, et chaque interprète confère une humanité des plus convaincantes à son personnage. Qu’il s’agisse de la culpabilité d’une simple erreur qui met la mission à mal, de l’esprit de sacrifice pour sauver l’humanité, ou encore de s’interroger sur la légitimité de prendre une vie, les choix, les dilemmes des protagonistes sont crédibles, en grande partie grâce à des acteurs très engagés.




Mais ce qui caractérise avant tout Sunshine, ce qu’on conservera en mémoire longtemps après l’avoir vu, c’est le mélange toujours harmonieux entre les superbes partitions de John Murphy, et les images très impressionnantes. A ce titre, Adagion In D Minor, récemment reprise dans la bande originale du film Kick-Ass et dans la bande annonce The Adjustment Bureau (adaptation d’une nouvelle de Philip K. Dick mettant en scène Matt Damon et Emily Blunt), est une mélodie d’une puissance incroyable, montée avec pertinence lors de deux scènes très réussies qui résument à elles seules l’importance de la mission du groupe et la détermination de chaque membre. Boyle parvient à créer plusieurs sentiments chez son public, grâce à un montage qui alterne les scènes calmes et le suspense frénétique. Le calme et l’immensité de l’espace sont particulièrement convaincants, et remettent en perspective l’existence de l’homme, et l’importance qu’il accorde à sa présence. Mais les passages plus tendus, comme les confrontations musclées d’opinion bénéficient d’une mise en scène qui au premier abord peut paraître confuse, mais retranscrit parfaitement le chaos ambiant. Ainsi, comme les protagonistes, le spectateur est toujours surpris, et il n’est pas aisé d’anticiper les événements à venir. On se doute bien sûr que la mission risque d’être plus complexe que prévue, mais les événements s’enchaînent de façon imprévisible sans paraître trop incohérents. Dans un premier temps, c’est la rationalisation qui sera privilégiée par l’équipe de scientifiques.



De ce point de vue, Hiroyuki Sanada interprète un commandant très convaincant, sûr de lui et rassurant, privilégiant les solutions les plus logiques. Michelle Yeoh interprète un personnage assez similaire, mais dont l’humanité s’exprime davantage, à travers sa passion pour le jardin à oxygène du vaisseau. Mais ce sont finalement Chris Evans en tête brûlée prête à tout pour accomplir sa mission, et Cillian Murphy, en scientifique passionné qui s’imposent dans les rôles les plus marquants. Malgré ces caractères très marqués, Boyle parvient à donner vie au personnage sans verser dans la sensiblerie. Ainsi, certaines scènes sont très marquantes, puisqu’il est difficile de prévoir qui va mourir ou non, sans qu’on n’oublie jamais que les personnages iront jusqu’au bout de leur mission quoi qu’il puisse leur en coûter. La perte d’humanité est à ce titre aussi frappante que mise en valeur sans trop d’insistance, si on oublie la scène où le personnage de Chris Evans en fait la déclaration. Ce traitement qui peut paraître froid permet de s’identifier aux personnages et donne une cohérence au propos qui ne s’éloigne pas de cette ambiance de fin de monde. On pourra cependant regretter le propos presque mystique de la dernière partie du film, annoncé de façon surprenante dès la déclaration sur la poussière. Les interrogations sur la légitimité de la mission au regard de l’aspect naturel de l’extinction d’un soleil auraient pu être posées de façon plus rationnelle. Un choix qui aurait été davantage en phase avec la conception très scientifique des personnages. Bien sûr, ce changement de ton confronte justement deux visions de la vie, mais on peut également y voir une facilité qui transforme ce qui était une étude de personnages en une sorte de survival spatial à tendance métaphysique. Et si ce choix donne lieu à des scènes visuellement intéressantes, il est source d’une frustration moins satisfaisante sur le plan intellectuel. Malgré tout, cette partie reste très bien réalisée. Le suspense y est mené de façon très efficace, immergeant le spectateur dans cette poursuite réellement surréaliste. On en vient rapidement à se demander la nature de ce mal, notamment grâce à un effet de flou récurrent qui oblige à s’interroger sur la véracité des événements et sur la perception des personnages. Ce mélange entre science-fiction pure et fantastique à la limite du surnaturel rappelle dans une moindre mesure le Event Horizon de Paul W.S. Anderson.



Et Si Boyle reste un réalisateur bien plus subtil que le metteur en scène américain, il n’évite pas quelques métaphores un peu abruptes. Outre celle de la poussière, l’expression « sang sur les mains » sera illustrée de façon appuyée. On a donc parfois l’impression que le scénario n’est pas tout à fait maîtrisé, à cause d’un traitement parfois plus grossier. Mais globalement, Boyle parvient à mettre en scène une œuvre visuellement très forte, remplies de scènes marquantes, et surtout à faire vivre ses personnages dans un espace dont l’immensité est plus frappante que jamais. Le rendu de certaines scènes est d’ailleurs tout simplement vertigineux, grâce à un montage vraiment astucieux. Sunshine est une œuvre qui peut décontenancer, à cause de deux parti pris qui ne paraissent pas toujours se mêler de façon harmonieuse, mais la qualité de ses images, de son interprétation, le côté épique de certaines scènes, et la capacité du réalisateur à immerger le spectateur dans son histoire justifient largement le visionnage.

jeudi 24 mars 2011

Dead Clowns

Si le marché de l’horreur ne connaîtra jamais la même respectabilité que le reste de la production cinématographique, c’est en grande partie à cause du côté racoleur illustré par le terme « exploitation ». Et même si un certain nombre d’artistes s’engagent avec sérieux, insufflant une véritable vision à leurs films d’horreur, le genre se prête largement aux expérimentations de cinéastes en herbe, décidés à se faire connaître en se montrant ingénieux en dépit du manque de moyens. C’est du moins ainsi qu’ils se présentent. Mais il n’est pas rare que ces créateurs soient plus racoleurs que créatifs, et que le talent leur fasse autant défaut que l’argent. Ce phénomène semble frapper avec encore plus de violence les zombies, dont on a pu contempler les épidémies un nombre incalculable de fois avec un pourcentage de réussite nettement plus faible. On a ainsi bien souvent l’impression que le genre ne se décline qu’en deux, voire trois visions : l’approche sérieuse ponctuée d’un discours social de Roméro, le fun débridé d’un Return Of The Living Dead ou d’un Shaun Of The Dead, ou l’origine du mythe, le vaudou, dans des œuvres comme White Zombie, L’Invasion Des Morts Vivants, ou The Serpent and The Rainbow. Certains réalisateurs plus audacieux, ou se moquant même complètement des conventions n’ont pas peur de brouiller les pistes, comme l’a prouvé Lloyd Kauffman, pour son incroyable Poultrygeist : Night Of The Chicken Dead. Lorsqu’il se lance dans l’aventure Dead Clowns en 2004, Steve Sessions n’est pas un amateur. En tout cas, il n’en est pas à son premier film en tant que réalisateur. Mais plutôt que d’emprunter à tout va ou de mettre en scène une vaste farce, il tente une approche originale en inscrivant son récit dans une petite ville portuaire menacée par l’arrivée d’un ouragan. Le fait d’exploiter l’arrivée imminente d’une catastrophe naturelle ou une situation de crise sur le point d’exploser est un procédé narratif intéressant. Cela permet de planter un contexte précis qui donne plus d’ampleur au récit en plus d’installer un terrain favorable à une dramaturgie puissante. Le choix d’un ouragan est de plus pertinent, non seulement parce que certains exemples réels et récents résonnent auprès du spectateur, mais en plus parce qu’une telle catastrophe rappelle les conséquences d’une épidémie zombie. Comme les morts-vivants, l’ouragan avance inexorablement, ne laissant que désolation après son passage.



Etant donné l’aspect incroyablement fauché de Dead Clowns, ce parti-pris surprenant est une bonne idée, qui semble indiquer que le producteur/maquilleur/réalisateur/compositeur cherche à innover et à transcender son budget. C’est donc avec sympathie qu’on se lance dans l’aventure, dépassant l’horreur de la bande originale composée de sons midis. Si globalement les mélodies parviennent à créer une ambiance et à instiller un suspense, l’abondance de sons plus explosifs met constamment en exergue le côté amateur de cette bande son. Visuellement, Sessions ne s’en sort pas mieux, la photographie étant tout simplement inexistante. Mais surtout, le réalisateur n’a aucun sens du cadre. Les plans sont ratés, d’abord parce qu’ils n’ont aucun attrait sur le plan esthétique, ensuite parce qu’ils n’apportent rien du point de vue narratif. Le montage n’est pas plus réussi, comme en témoignent d’interminables scènes dans lesquelles il ne se passe rien. L’arrivée en voiture d’un couple en est un excellent exemple, puisqu’elle est composée de très longs plans montrant la conductrice tournant son volant, sans qu’on ait pour autant l’opportunité de réellement découvrir le cadre de l’action. Pourtant, certaines scènes d’introduction paraissaient plus intéressantes, comme ce travelling qui permet de constater qu’un des personnages souffre d’un handicap qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant. Mais le manque d’identité visuelle et même de talent pour illustrer le propos n’est rien comparé au manque de rythme et de sens de la narration. Si on peut comprendre que le réalisateur prenne son temps pour installer l’ambiance, il est plus difficile d’accepter l’ennui de cette introduction qui se prolonge d’ailleurs jusqu’à la conclusion. Le temps paraît donc très long, et si l’objectif de Steve Sessions est de nous faire regarder notre nombre toutes les 2 minutes, qu’il se rassure, il a dépassé toutes les attentes. C’est regrettable, car le choix d’opérer une montée en tension progressive, même s’il est probablement dicté par les restrictions budgétaires, était intéressant. D’autant plus qu’il existe une véritable ambiance en dépit de tous les défauts. L’histoire des clowns est même contée avec une certaine intensité, grâce à la petite musique et aux bruitages de pluie et de vent omniprésent. Mais même ce montage sonore est fait sans rigueur, puisque dans certaines scènes les bruits de fond cessent abruptement. Même la musique, qui contribue à l’ambiance, est parfois employée sans pertinence dans des scènes où elle semble en contradiction avec le ton de l’action. Mais malgré ces défauts, l’utilisation des bruits de fond reste assez intéressante, notamment lorsqu’elle s’appuie sur des informations à la radio qui renforcent l’angoisse de l’attente de l’ouragan. Seulement, l’imminence de la catastrophe n’atteint pas son potentiel dramatique car on ne ressent que peu d’intérêt pour le sort de ces personnes.

 

 En effet, les protagonistes manquent tellement de profondeur qu’on ne les connaît toujours pas lorsque le générique de fin s’affiche. Observation surprenante, puisque le ton se veut intimiste. Pour qu’un récit dramatique ait un impact sur le spectateur, il est important qu’il puisse soit s’identifier aux personnages, soit s’investir émotionnellement parce qu’il les trouve attachants. Ce qui n’est pas possible sans une écriture rigoureuse et des acteurs capables de donner vie à ceux qu’ils incarnent. Dans les faits, il n’est pas toujours évident de trouver des interprètes talentueux dans de telles productions, et les victimes de fictions horrifiques dépassent rarement le stade de la caricature. Mais dans Dead Clowns, on atteint des sommets, puisque les personnages les plus chanceux sont réduits à une caractéristique : j’ai un fauteuil roulant, je me drogue, je suis en vacances. Certaines victimes doivent quant à elle se contenter de : je suis une femme, je suis de la viande hachée. Car il n’est pas rare qu’on nous montre les assassinats de personnes qui ne nous ont même pas été présentés. Le terme « assassinat » est important, car contrairement à la majorité des zombies dévoreurs de chair, les fameux clowns ont une éducation. Avant de se repaître de la peau tendre de leurs victimes, ils les attaquent et les tuent, et ne les mange que plus tard, quand tout est redevenu calme. Ce comportement de dandy est en accord avec la tenue de nos clowns morts-vivants, qui après avoir passé plus d’un demi-siècle sous l’eau sont malgré tout vêtus de costumes chatoyants. Leurs visages sont par contre bel et en bien en décomposition, un état illustré par des masques qui donnent l’impression d’être faits en papier mâché. Leurs visages sont donc plus amusants qu’effrayants. Le fait qu’ils soient silencieux les rend par contre vraiment inquiétant, puisque cela leur permet de surgir à n’importe quel moment, sensation renforcée par l’utilisation systématique de gros plans, qui ne permet jamais de les distinguer complètement. Ce choix visuel est certainement l’un des plus intéressants du film, même s’il est sans doute lié au budget dérisoire. Ce qui perturbe davantage, c’est que les vivants sont aussi passifs que les goules. Les victimes ne crient jamais, même lorsqu’on leur tranche un membre. Personne ne semble réellement avoir peur en étant confrontés à des corps en décomposition se déplaçant, et plus globalement, il n’y a aucune vie chez ces protagonistes. Comment est-on supposé s’inquiéter pour des « héros » qui semblent eux-mêmes n’éprouver aucun intérêt quant  leur sort ? Les acteurs se livrent d’ailleurs à une véritable lutte de celui qui sera le moins expressif. Seule la jeune criminelle a conscience qu’elle tourne une fiction et tente de séduire le public en surjouant autant qu’elle le peut.


Mais Dead Clowns a un argument qui trouvera son public : la violence et le gore. Les coups et les meurtres sont d’une mollesse digne des meilleurs nanars et prêtent véritablement à rire. Le sang se verse quant à lui en quantité limitée, mais son aspect reste suffisamment convenable pour qu’on s’en contente. Certains effets plus audacieux sont moins convaincants, comme lorsqu’on nous refait la scène de l’œil de l’Enfer Des Zombies de Fulci, mais globalement, les effets sanglants restent plutôt réjouissants. D’autant plus qu’ils s’inscrivent dans l’atmosphère glauque générale. Tout a un aspect fauché, mais le mélange des bruitages, des maquillages poisseux et du sans contribue à installer un climat horrifique que la narration en elle-même et la mise en scène peinent à créer. Le dernier tiers insiste bien plus sur ces éléments, mais Steve Sessions ne trouve malheureusement jamais le rythme adéquat, si bien que l’ennuie persiste jusqu’à la dernière minute, sans qu’on ne se soit jamais senti investi. Le budget n’est pas la seule raison de la déception que constitue Dead Clowns. En effet, il y avait quelques bonnes idées, mais il manque un réalisateur capable de les mettre en image efficacement. En comparaison, les frères Jeff et josh Crook ont réussi à transcender un budget risible grâce à un scénario ingénieux, une direction d’acteurs sans failles et une véritable implication émotionnelle dans leur très réussi Gruesome. Dead Clowns est donc à réserver aux fans inconditionnels de zombies, prêt à supporter 1h34 d’ennui pour avoir la chance de découvrir les nouvelles horreurs de leurs morts-vivants préférés.

vendredi 18 mars 2011

L'emprise des ténèbres - The serpent and the rainbow

 Avec un titre comme Magic Island, difficile d’imaginer que l’ouvrage d’anthropologie de William Seabrook publié en 1923 populariserait le mythe du zombie. Le concept fut rapidement adapté en film, le White Zombie de Victor Halperin ouvrant la voie au genre. Ce n’est que bien plus tard que les morts-vivants devinrent amateurs de viande fraiche.  Après la consécration de Georges A. Romero avec sa série de films sur les zombies, débutée par son fameux Night Of The Living Dead, le public a davantage connu des explications scientifiques aux épidémies de goules, et l’angle vaudou a été oublié. La sortie en 1986 d’un nouvel ouvrage d’anthropologie, de la plume de Wade Davis, permet de remettre les rituels vaudous au goût du jour. Pensant que son ouvrage sera adapté par le réalisateur Peter Weir et interprété par Mel Gibson, Davis n’hésite pas à en vendre les droits. Mais pour dépeindre cette atmosphère de cauchemar, peut-on imaginer metteur en scène plus compétent que Wes Craven, initiateur de la série des Nightmare On Elm street dont les images ont hanté les rêves de millions de spectateur ? Craven est déjà un artiste confirmé à ce moment de sa carrière, grâce à des œuvres poisseuses et perturbantes, peuplées de personnages qu’il vaut mieux croiser derrière un écran que dans la rue.  Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, le parti-pris de The Serpent and The Rainbow est plutôt réaliste et s’inscrit davantage dans l’ambiance réaliste et sordide de La Dernière Maison Sur La Gauche. Car en plus d’être l’adaptation d’un ouvrage d’anthropologie, le film de Wes Craven est également « adapté de faits réels ». Une déclaration qui n’a cependant que peu de sens, puisque cela signifie généralement que l’idée générale est vaguement inspirée d’un fait réel. Quelque soit la véracité de l’histoire, le réalisateur parvient tout au long du métrage à conserver une atmosphère crédible, tout en adoptant un ton cauchemardesque qui frappe dès le générique s’affichant sur un fond rouge sang, au rythme d’une musique qui illustre efficacement les rituels de l’île tout en créant une atmosphère pesante et angoissante.


Les décors naturels favorisent largement l’immersion, contribuant à augmenter l’impact de ce climat inquiétant. Le traitement est plus proche du thriller surnaturel, un peu à la manière du Angel Heart d’Alan Parker, qui abordait également les rituels vaudous, que d’un film de zombies des années 80, dans lequel les morts-vivants sont innombrables et avancent inlassablement vers de pauvres victimes. Bill Pullman interprète un anthropologue revenant d’un périple en Amazonie qu’on charge d’enquêter sur un mystérieux phénomène de zombification en Haïti. Acteur au jeu assez particulier, s’étant illustré dans les films de la famille Lynch, Pullman n’a pas vraiment un physique de super-héros, ce qui rend sa prestation plutôt crédible. Toujours surpris, toujours dépassé, il découvre comme le spectateur un mode de vie qui le dépasse malgré son métier, ce qui permet de s’identifier à lui dans une certaine mesure. Son périple se présente comme une véritable enquête de film noir, et malgré sa rencontre avec des alliés, on a bien souvent l’impression qu’il est seul contre tous. La corruption est au centre du récit, un choix scénaristique pertinent rappelant l’ambiance paranoïaque de Une Saison Blanche et Sèche d’André Brink, se déroulant à la toute fin de l’apartheid. Mais l’ajout récurrent de séquences de cauchemar vient nous rappeler que le thème du récit est bien surnaturel, ou du moins présenté comme tel par certains personnages. Ces scènes sont assez brèves, mais les effets spéciaux sont réussis et convaincants. Qu’il s’agisse d’un cercueil se remplissant de sang ou d’une mariée zombie naine s’arrachant le visage, on se laisse facilement convaincre par les maquillages. Certaines figures bien connues, comme le fameux Baron Samedi, font également leur apparition. Le montage est particulièrement réussi, puisqu’il retranscrit fidèlement la perte de repères du héros.




L’ambivalence voulu du ton se retrouve également dans la façon d’appréhender l’horreur. Plus que le sujet et les cauchemars, ce sont finalement les confrontations avec les hommes, ceux qui vivent et qui respirent, qui resteront en mémoire par leur violence et leur traitement inhumain. The Serpent and The Rainbow est un périple aussi éprouvant pour son protagoniste que pour le spectateur, qui attend impatiemment les révélations tout en s’inquiétant pour cet anthropologiste un peu arrogant et poltron. Pullman est très convaincant lorsqu’il joue sur son côté petit américain frimeur qui va montrer aux autochtones comment se comporte un véritable homme. A l’image du ton du récit, il se montre double, oscillant constamment entre le désir de mener son enquête à son terme et sa peur des représailles. Cette dualité se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène de Wes Craven. La scène d’introduction est composée d’amples travellings très précis, qui mettent en relief la masse de la foule, avant de dévoiler l’horreur d’un bidonville. Le réalisateur emploiera ce procédé à chaque fois qu’un grand nombre de figurants est à l’écran, et afin de mettre en valeur les paysages naturels. Pour les scènes en intérieur, il privilégie par contre les caméras portées à l’épaule, donnant un côté intimiste aux découvertes qui se font toujours à l’abri des regards. Il emploiera le même procédé lors de certaines scènes d’action, afin d’accentuer leur intensité, tout en conservant une lisibilité permanente. Craven parvient à tirer le meilleur parti de ses décors, tant pour exprimer le climat de tension que pour plonger dans l’atmosphère exotique. Le rythme reste constant, grâce au renouvellement de l’intrigue, ce qui permet de se laisser surprendre. Les amateurs de zombies seront sans doute déçus de ne les voir que trop rarement, mais Craven ne se limite pas à des scènes de cauchemar pour perturber le spectateur. Les rites vaudous sont présentés sans complaisance, et comptent leur lot de démembrements. On retiendra également une scène de possession aussi subite que stressante. La peur de la mort est aussi constante que vive, et le fameux Bokor, sorcier ayant le contrôle des morts vivants selon la tradition vaudou est un adversaire véritablement démoniaque. Non seulement sa menace est tangible, mais elle semble inévitable, inéluctable, comme si le héros avait signé son arrêt de mort rien qu’en se rendant sur place. Car malgré l’approche réaliste et les indices laissant interpréter certains événements, Craven ne donne pas de réponse précise sur les raisons qui poussent les gens à sortir de leur tombe. Du moins laisse-t-il planer le doute dans une certaine mesure.


L’inscription du récit dans un contexte politique réaliste est intéressante, en particulier parce qu’elle remet en perspective les exactions des forces de l’ordre, par contre elle semble trop tardive. Elle n’aura d’ailleurs finalement que peu d’incidence sur le récit, dont les enjeux deviennent de plus en plus personnels, conférant au climax une implication émotionnelle bienvenue. Cet ultime coup d’éclat est particulièrement réussi, exploitant enfin les zombies avec des effets spéciaux jouissifs sans être particulièrement gores. La violence, omniprésente tout au long de l’histoire, atteint néanmoins un degré d’intensité bien plus important lors d’une confrontation physique brutale et vicieuse. Visuellement, malgré une photographie qu’on ne trouverait pas aujourd’hui, The Serpent And The Rainbow a très bien vieilli. En termes de montage et de réalisation, il constitue une œuvre de transition très intéressante, à mi-chemin entre une vision assez classique du film d’horreur, et un montage plus dynamique et plus moderne. L’utilisation du vaudou est bien intégrée à l’histoire et permet au réalisateur de laisser aller son imagination pour des scènes cauchemardesques vraiment marquantes. En revenant ainsi à la base du mythe du zombie, Wes Craven réalise une œuvre poisseuse et prenante, et tout en s’éloignant du traitement adopté par Georges A. Romero, il présente un message similaire en nous rappelant que c’est bien l’homme le pire des monstres. La tension permanente, la paranoïa, l’enquête et la violence donnent un ton unique, pour une œuvre audacieuse. Si The Serpent And The Rainbow n’est pas un film exploitant beaucoup ses zombies, il reste une excellente histoire sur le thème de la zombification. Malheureusement, le courage affiché jusque-là se perd dans une fin faite de concessions au public et aux studios. L’horreur lancinante et terrifiante cède la place à une violence qui se veut plus spectaculaire, et la présence d’un Happy End tranche trop violemment avec le côté inéluctable de la mort, tel qu’il a été présenté dès le début.

Un film de zombies différent, à voir malgré tout, pour son ambiance, ses effets spéciaux, et son traitement surprenant, qui renoue avec l’origine du mythe du zombie.

mardi 15 mars 2011

Detective Dee et le mystère de la flamme fantôme


On peut essayer d’objectiver l’art, et en l’occurrence le cinéma autant qu’on le voudra, en décernant notamment des récompenses prestigieuses, ou encore en attribuant les termes « culte », ou « chef d’œuvre », mais les sensations que l’on ressent lorsqu’on découvre un film sont aussi uniques qu’intimes, et les arguments les plus élaborés ne suffiront jamais à cacher la subjectivité de nos avis. C’est cette façon personnelle d’aborder le cinéma qui donne son sens à la discussion, à l’échange, et qui donne vie à nos passions. C’est pour cette raison que l’évocation d’un nouveau projet de Tsui Hark provoque immanquablement des frissons d’excitation chez certains, quand d’autres s’attarderont plus sur le sujet de l’œuvre que sur les noms qui l’entourent. Or, quand on aborde Detective Dee and The Phantom Flame, il semble regrettable de faire l’impasse sur le riche héritage de cette adaptation, tant les personnes liées à cette production sont d’horizons différents. Un métissage à l’image du réalisateur, dont les origines et les voyages mêlent le Vietnam, les États-Unis d’Amérique et bien sûr l’ex colonie britannique. Cet aspect cosmopolite de l’artiste n’est certainement pas étranger à la réputation de metteur en scène le plus créatif de Hong Kong. En effet, on peut supposer que la volonté de bousculer les genres et de dynamiter les conventions chère à Tsui Hark est liée à ces différentes expériences, qui l’éloignent d’une vision purement traditionnelle de la Chine, même s’il clame constamment son amour pour cette culture. S’étant essayer à presque tous les genres, le réalisateur a connu de grands succès, mais aussi des échecs difficiles, et après avoir connu une renommée qui lui a permis d’être surnommé « le Steven Spielberg de Hong Kong », l’artiste a eu du mal à retrouver son public, comme en témoigne l’accueil de Missing et All About Women. Les fans attendaient donc avec impatience le grand retour de celui qui avait relancé le genre du kung fu pian avec sa prestigieuse saga des Once Upon A Time In China. Et c’est en adaptant une fois encore les exploits d’une figure mythique de l’histoire chinoise que Tsui Hark entend reconquérir son public. Detective Dee, plus connu sous le nom de Juge Ti en France, est ainsi un personnage littéraire inspiré de Di Renjie, haut fonctionnaire sous la dynastie des Tang, ayant vécu de 530 à 600 après JC. Outre ses fonctions de magistrats, il devint, sur la fin de sa carrière, ministre pour l’impératrice Wu. Si le personnage est connu en occident, c’est avant tout grâce à Robert H Van Gulik, diplomate hollandais spécialisé dans la culture chinoise. L’intérêt de ces écrits est de faire découvrir le fonctionnement de la justice chinoise de l’époque, avec un souci de réalisme inouï, tout en rendant la lecture ludique grâce à des enquêtes dans lesquelles les qualités de détective du héros illustrent un esprit brillant. Van Gulik n’est pas le seul auteur a s’être réapproprié le personnage, puisqu’en 2004, Frederic Lenormand romancier maintes fois récompensé, publie Les Nouvelles Enquêtes Du Juge Ti, dans la pure tradition des romans précédents. Si Di Renjie n’a pas le potentiel spectaculaire d’un Wong Fei-Hong, ses qualités les plus prisées étant d’ordre intellectuel, certaines histoires mettent en avant son courage et ses qualités de combattant. A la fin des années 60, le héros a vu ses enquêtes adaptées pour la télévision britannique, sans qu’aucun acteur asiatique ne soit impliqué dans le tournage. Enfin en 1974, le réalisateur Jérémy Paul Kagan a mis en scène un téléfilm, Judge Dee And The Monastery Murders, avec des figures connues comme Mako ou James Hong, et le métisse Kigh Diegh dans le rôle titre.



Contrairement aux œuvres précédentes, le côté classique des enquêtes du juge Ti telles qu’on les connaît et la plongée dans l’administration judiciaire de la Chine des Tang ne sont pas les centres d’intérêt du réalisateur, qui va se débarrasser du contexte en l’espace de quelques secondes, grâce à des inscriptions accompagnant les premiers plans nous confrontant à un mélange de décors réels et d’effets spéciaux compensant un budget certainement insuffisant pour satisfaire l’ambition d’un metteur en scène comme Tsui Hark. Ce procédé n’est pas utilisé à outrance, et si le public n’est jamais dupe, le résultat est bien assez satisfaisant pour qu’on se laisse immerger dans cette époque lointaine à l’atmosphère de légende. Les décors réels sont très réussis et mis en valeur par des drapeaux aux couleurs chatoyantes. Les costumes sont d’une élégance et d’un raffinement qui contrastent avec l’esthétique criarde des wu xia pian de Zhang Yimou. Les différences de ton entre les travaux des deux réalisateurs vont d’ailleurs se faire de plus en plus évidentes au fur et à mesure du récit. Un constat important, tant Hero, House Of Flying Daggers et Curse Of The Golden Flower se sont imposés comme les modèles à imiter de la majorité des wu xia ayant inondé les écrans ces dernières années. Pourtant, on s’étonne dans un premier temps, de découvrir la caméra de Tsui Hark se permettre des mouvements amples et posés, lui qui nous avait habitués depuis Time And Tide en particulier, des montages frénétiques. Ici, il s’accorde une mise en image qui peut paraître plus classique, mais aussi et surtout, plus ample. Un parti-pris qui s’inscrit parfaitement dans l’ambiance plus traditionnelle du récit, et illustre le retour aux sources, tout en mettant en valeur le gigantisme de la cité et la grandeur de constructions dignes de la tour de Babel. L’ensemble devient vite vertigineux, et on comprend aisément pourquoi les distributeurs français, pour qui le nom de Tsui Hark reste vendeur, comme en témoigne la sortie de Seven Swords dans nos salles, ont fait le choix de diffuser ce Detective Dee And The Phantom Flame. Et pour s’assurer que tout le monde peut suivre son récit justement, le metteur en scène a la bonne idée d’introduire un général étranger, qui n’apparaîtra d’ailleurs plus jamais dans l’histoire, ce qui permet aux personnages chinois d’expliquer le contexte sans que cela ne semble gratuit. Devant une telle avalanche d’informations et de peintures mémorables, on a l’impression d’assister à un spectacle constant, et la sensation que Tsui Hark n’a que peu d’intérêt pour la réalité historique semble largement se confirmer. Pourtant, au détour de deux plans spectaculaires, on assiste tout de même à un passage à tabac qui illustre les méthodes brutales des représentants de l’ordre, rappelant la réalité violente des romans du Juge Ti. On constatera par la suite que cette scène est davantage un leurre qu’une description des mœurs de l’époque. C’est d’autant plus regrettable que les occasions de s’appesantir de façon ludique sur le système judiciaire de l’époque sont nombreuses durant cette première demi-heure qu’on ne voit pas passer. Et c’est bien là le talent du réalisateur : sans choisir la facilité d’enchaîner les scènes d’action spectaculaires, il parvient à nous immerger dans son récit au point que les minutes semblent des secondes.



A ce titre, l’ivresse du rythme rappelle largement les adaptations de Gu Long que Chu Yuan réalisait pour la Shaw Brothers dans les années 70. D’ailleurs, le traitement même du récit, qui mélange les inspirations surnaturelles et une vision plus classique de l’énigme policière, rappelle la collaboration des deux hommes. Certains décors, comme celui du bazar, s’inscrivent directement dans ce même héritage, le dit décor rappelant par exemple la fameuse ile de Legend Of The Bat, en moins psychédélique. Un constat qui n’a rien d’étonnant quand on sait que le metteur en scène rêve depuis des années de réaliser un remake de Death Duel. On imagine ainsi sans mal le Ti Lung de l’époque se glisser dans la peau d’un juge Ti aussi charismatique qu’arrogant. Andy Lau se révèle le successeur parfait de l’acteur, et irradie tout autant de charisme. Plus surprenant encore, il parvient à exprimer la sagesse et l’esprit brillant du juge, tout en y mêlant une désinvolture et une fougue tout à fait bienvenues. Les dialogues sont d’ailleurs très travaillés et permettent des échanges savoureux, notamment lorsque le héros débat avec la controversée impératrice Wu campée par une Carina Lau a la présence remarquable. Car comme évoqué en introduction, Detective Dee - The Mystery Of Phantom Flame est un film à noms. Outre les personnages historiques, le casting est constellé d’étoiles dont la réunion est des plus lumineuses sous la caméra d’un Tsui Hark qui de toute évidence prend autant de plaisir que nous a faire se rencontrer des stars indémodables comme Andy ou Carina, mais aussi de vieilles figures on ne peut plus sympathiques comme les inénarrables Richard Ng et Teddy Robin Kwan, aux côtés de jeunes acteurs énergiques loin des starlettes fades omniprésentes dans les films de Hong Kong. Si le ton est plutôt sérieux, et va même s’aggraver tout au long du récit, l’humour n’est pas absent. Un humour subtil et cynique, ponctué de scènes invraisemblables comme un combat/interrogatoire aussi bref que fulgurant entre le juge Ti et le ministre Pei. Cette folie communicative rappelle avec flamboyance l’esprit des wu xia pian des années 90, grâce à l’enthousiasme du réalisateur et au travail réjouissant de Sammo Hung. Ce dernier évite l’écart de la quasi-totalité des chorégraphes de wu xia pian actuels qui semblent calquer leur travail sur les combats réglés par Tony Ching Siu-Tung pour Zhang Yimou. Au lieu des ballets aussi esthétisants que mous, le duo nous offre donc des affrontements spectaculaires et virevoltants, nous épargnants les ralentis devenus indissociables du genre. Il ne faut bien sûr pas s’attendre à de longs affrontements très techniques où les figures traditionnelles de kung fu s’enchaînent dans des plans complexes. Les échanges sont généralement brefs, et l’utilisation des câbles est systématique. La variété est au rendez-vous, et le nombre important de scènes d’action donne beaucoup de souffle à un rythme maitrisé. Le final, très ambitieux, est d’une grande inventivité et tire parti de tous les moyens à la disposition de l’équipe pour offrir aux spectateurs un spectacle dense, complexe, mais toujours accessible. Les combats représentent d’ailleurs une bouffée d’air frais dans une production globalement aseptisée, et Tsui Hark fait régner un vent de folie qui nous rassure sur sa capacité à se révolter contre une industrie moribonde, au moins du point de vue artistique.



Paradoxalement, c’est ce côté délirant et réjouissant qui empêche Detective Dee - The Mystery Of Phantom Flame d’être autre chose qu’un très bon divertissement. Le traitement de l’intrigue n’est pas dénué d’intérêt. Hark parvient notamment à retranscrire de façon immersive le sentiment de danger permanent et l’atmosphère de paranoïa intense dans laquelle vivent les personnages. Le récit en lui-même se suit sans mal, et la narration est limpide. Mais on peine trop à retrouver l’essence du Juge Ti. Si dans la première partie son assurance donne constamment l’impression qu’il connaît plus d’éléments que les autres personnages, il ne démontre finalement que trop rarement ses qualités d’enquêteur, s’illustrant bien plus dans les scènes d’action. Ses premières déductions sont d’ailleurs tellement simplistes qu’on appréhende la résolution de l’intrigue. Par la suite, il se montrera plus fin, mais la deuxième partie du film constitue davantage une grande course poursuite ponctuée de coups de théâtre et de trahisons qu’un véritable travail d’investigation. Et quand enfin Ti nous rappelle son titre, c’est pour dévoiler les tiroirs d’une conspiration amusante, mais qui fait davantage penser au plan d’un criminel échappée de la série TV Monk avec Tony Shaloub, que d’un vaste complot politique. Cette déception est malgré tout plus ou moins compensée par le traitement nuancé des personnages. Tsui Hark évite ainsi de se montrer trop manichéen et nous présente des protagonistes très humains, dont l’évolution tout au long de l’histoire est aussi manifeste que crédible, en particulier dans le cas du juge Ti. Et même si son destin est plus fantaisiste que la réalité historique, on prend beaucoup de plaisir à s’immerger dans un pan de l’histoire de la Chine, même si on en apprendra finalement peu sur le sujet.

En inscrivant son récit dans une atmosphère de légende, Tsui Hark signe un divertissement aussi léger que réjouissant, à la réalisation maîtrisé, et au rendu visuel magnifique. Detective Dee - The Mystery Of Phantom Flame ne semble pas aussi inoubliable que d’autres œuvres de l’artiste, mais il reste un témoignage très réussi de sa créativité, dont la réussite est le résultat du travail d’une équipe investie !