jeudi 24 mars 2011

Dead Clowns

Si le marché de l’horreur ne connaîtra jamais la même respectabilité que le reste de la production cinématographique, c’est en grande partie à cause du côté racoleur illustré par le terme « exploitation ». Et même si un certain nombre d’artistes s’engagent avec sérieux, insufflant une véritable vision à leurs films d’horreur, le genre se prête largement aux expérimentations de cinéastes en herbe, décidés à se faire connaître en se montrant ingénieux en dépit du manque de moyens. C’est du moins ainsi qu’ils se présentent. Mais il n’est pas rare que ces créateurs soient plus racoleurs que créatifs, et que le talent leur fasse autant défaut que l’argent. Ce phénomène semble frapper avec encore plus de violence les zombies, dont on a pu contempler les épidémies un nombre incalculable de fois avec un pourcentage de réussite nettement plus faible. On a ainsi bien souvent l’impression que le genre ne se décline qu’en deux, voire trois visions : l’approche sérieuse ponctuée d’un discours social de Roméro, le fun débridé d’un Return Of The Living Dead ou d’un Shaun Of The Dead, ou l’origine du mythe, le vaudou, dans des œuvres comme White Zombie, L’Invasion Des Morts Vivants, ou The Serpent and The Rainbow. Certains réalisateurs plus audacieux, ou se moquant même complètement des conventions n’ont pas peur de brouiller les pistes, comme l’a prouvé Lloyd Kauffman, pour son incroyable Poultrygeist : Night Of The Chicken Dead. Lorsqu’il se lance dans l’aventure Dead Clowns en 2004, Steve Sessions n’est pas un amateur. En tout cas, il n’en est pas à son premier film en tant que réalisateur. Mais plutôt que d’emprunter à tout va ou de mettre en scène une vaste farce, il tente une approche originale en inscrivant son récit dans une petite ville portuaire menacée par l’arrivée d’un ouragan. Le fait d’exploiter l’arrivée imminente d’une catastrophe naturelle ou une situation de crise sur le point d’exploser est un procédé narratif intéressant. Cela permet de planter un contexte précis qui donne plus d’ampleur au récit en plus d’installer un terrain favorable à une dramaturgie puissante. Le choix d’un ouragan est de plus pertinent, non seulement parce que certains exemples réels et récents résonnent auprès du spectateur, mais en plus parce qu’une telle catastrophe rappelle les conséquences d’une épidémie zombie. Comme les morts-vivants, l’ouragan avance inexorablement, ne laissant que désolation après son passage.



Etant donné l’aspect incroyablement fauché de Dead Clowns, ce parti-pris surprenant est une bonne idée, qui semble indiquer que le producteur/maquilleur/réalisateur/compositeur cherche à innover et à transcender son budget. C’est donc avec sympathie qu’on se lance dans l’aventure, dépassant l’horreur de la bande originale composée de sons midis. Si globalement les mélodies parviennent à créer une ambiance et à instiller un suspense, l’abondance de sons plus explosifs met constamment en exergue le côté amateur de cette bande son. Visuellement, Sessions ne s’en sort pas mieux, la photographie étant tout simplement inexistante. Mais surtout, le réalisateur n’a aucun sens du cadre. Les plans sont ratés, d’abord parce qu’ils n’ont aucun attrait sur le plan esthétique, ensuite parce qu’ils n’apportent rien du point de vue narratif. Le montage n’est pas plus réussi, comme en témoignent d’interminables scènes dans lesquelles il ne se passe rien. L’arrivée en voiture d’un couple en est un excellent exemple, puisqu’elle est composée de très longs plans montrant la conductrice tournant son volant, sans qu’on ait pour autant l’opportunité de réellement découvrir le cadre de l’action. Pourtant, certaines scènes d’introduction paraissaient plus intéressantes, comme ce travelling qui permet de constater qu’un des personnages souffre d’un handicap qui l’oblige à se déplacer en fauteuil roulant. Mais le manque d’identité visuelle et même de talent pour illustrer le propos n’est rien comparé au manque de rythme et de sens de la narration. Si on peut comprendre que le réalisateur prenne son temps pour installer l’ambiance, il est plus difficile d’accepter l’ennui de cette introduction qui se prolonge d’ailleurs jusqu’à la conclusion. Le temps paraît donc très long, et si l’objectif de Steve Sessions est de nous faire regarder notre nombre toutes les 2 minutes, qu’il se rassure, il a dépassé toutes les attentes. C’est regrettable, car le choix d’opérer une montée en tension progressive, même s’il est probablement dicté par les restrictions budgétaires, était intéressant. D’autant plus qu’il existe une véritable ambiance en dépit de tous les défauts. L’histoire des clowns est même contée avec une certaine intensité, grâce à la petite musique et aux bruitages de pluie et de vent omniprésent. Mais même ce montage sonore est fait sans rigueur, puisque dans certaines scènes les bruits de fond cessent abruptement. Même la musique, qui contribue à l’ambiance, est parfois employée sans pertinence dans des scènes où elle semble en contradiction avec le ton de l’action. Mais malgré ces défauts, l’utilisation des bruits de fond reste assez intéressante, notamment lorsqu’elle s’appuie sur des informations à la radio qui renforcent l’angoisse de l’attente de l’ouragan. Seulement, l’imminence de la catastrophe n’atteint pas son potentiel dramatique car on ne ressent que peu d’intérêt pour le sort de ces personnes.

 

 En effet, les protagonistes manquent tellement de profondeur qu’on ne les connaît toujours pas lorsque le générique de fin s’affiche. Observation surprenante, puisque le ton se veut intimiste. Pour qu’un récit dramatique ait un impact sur le spectateur, il est important qu’il puisse soit s’identifier aux personnages, soit s’investir émotionnellement parce qu’il les trouve attachants. Ce qui n’est pas possible sans une écriture rigoureuse et des acteurs capables de donner vie à ceux qu’ils incarnent. Dans les faits, il n’est pas toujours évident de trouver des interprètes talentueux dans de telles productions, et les victimes de fictions horrifiques dépassent rarement le stade de la caricature. Mais dans Dead Clowns, on atteint des sommets, puisque les personnages les plus chanceux sont réduits à une caractéristique : j’ai un fauteuil roulant, je me drogue, je suis en vacances. Certaines victimes doivent quant à elle se contenter de : je suis une femme, je suis de la viande hachée. Car il n’est pas rare qu’on nous montre les assassinats de personnes qui ne nous ont même pas été présentés. Le terme « assassinat » est important, car contrairement à la majorité des zombies dévoreurs de chair, les fameux clowns ont une éducation. Avant de se repaître de la peau tendre de leurs victimes, ils les attaquent et les tuent, et ne les mange que plus tard, quand tout est redevenu calme. Ce comportement de dandy est en accord avec la tenue de nos clowns morts-vivants, qui après avoir passé plus d’un demi-siècle sous l’eau sont malgré tout vêtus de costumes chatoyants. Leurs visages sont par contre bel et en bien en décomposition, un état illustré par des masques qui donnent l’impression d’être faits en papier mâché. Leurs visages sont donc plus amusants qu’effrayants. Le fait qu’ils soient silencieux les rend par contre vraiment inquiétant, puisque cela leur permet de surgir à n’importe quel moment, sensation renforcée par l’utilisation systématique de gros plans, qui ne permet jamais de les distinguer complètement. Ce choix visuel est certainement l’un des plus intéressants du film, même s’il est sans doute lié au budget dérisoire. Ce qui perturbe davantage, c’est que les vivants sont aussi passifs que les goules. Les victimes ne crient jamais, même lorsqu’on leur tranche un membre. Personne ne semble réellement avoir peur en étant confrontés à des corps en décomposition se déplaçant, et plus globalement, il n’y a aucune vie chez ces protagonistes. Comment est-on supposé s’inquiéter pour des « héros » qui semblent eux-mêmes n’éprouver aucun intérêt quant  leur sort ? Les acteurs se livrent d’ailleurs à une véritable lutte de celui qui sera le moins expressif. Seule la jeune criminelle a conscience qu’elle tourne une fiction et tente de séduire le public en surjouant autant qu’elle le peut.


Mais Dead Clowns a un argument qui trouvera son public : la violence et le gore. Les coups et les meurtres sont d’une mollesse digne des meilleurs nanars et prêtent véritablement à rire. Le sang se verse quant à lui en quantité limitée, mais son aspect reste suffisamment convenable pour qu’on s’en contente. Certains effets plus audacieux sont moins convaincants, comme lorsqu’on nous refait la scène de l’œil de l’Enfer Des Zombies de Fulci, mais globalement, les effets sanglants restent plutôt réjouissants. D’autant plus qu’ils s’inscrivent dans l’atmosphère glauque générale. Tout a un aspect fauché, mais le mélange des bruitages, des maquillages poisseux et du sans contribue à installer un climat horrifique que la narration en elle-même et la mise en scène peinent à créer. Le dernier tiers insiste bien plus sur ces éléments, mais Steve Sessions ne trouve malheureusement jamais le rythme adéquat, si bien que l’ennuie persiste jusqu’à la dernière minute, sans qu’on ne se soit jamais senti investi. Le budget n’est pas la seule raison de la déception que constitue Dead Clowns. En effet, il y avait quelques bonnes idées, mais il manque un réalisateur capable de les mettre en image efficacement. En comparaison, les frères Jeff et josh Crook ont réussi à transcender un budget risible grâce à un scénario ingénieux, une direction d’acteurs sans failles et une véritable implication émotionnelle dans leur très réussi Gruesome. Dead Clowns est donc à réserver aux fans inconditionnels de zombies, prêt à supporter 1h34 d’ennui pour avoir la chance de découvrir les nouvelles horreurs de leurs morts-vivants préférés.

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