lundi 31 janvier 2011

Shadow Dead Riot

Si les zombies sont connus depuis l’ouvrage d’anthropologie Magic Island publié en 1929, et qu’un certain nombre de films (le plus célèbre étant White Zombie, avec Bela Lugosi), il aura tout de même fallu attendre Night Of The Living Dead de George A. Romero en 1968 pour les voir passer du statut de faire valoir mystérieux à celui de mythe terrorisant. Mais avec les années, l’horreur a laissé sa place aux rires. Outre les zomédies telles que Shaun Of The Dead ou Zombieland,  dont l’humour est destiné à rendre les morts-vivants divertissants pour le grand public (même si dans le cas du film britannique, il n’y a pas vraiment de concessions sur le plan visuel), une grosse majorité de l’industrie des films à petit budget s’est inscrite dans cette vision. En effet, l’humour est un bon moyen de ne pas interpeller le spectateur à la vue d’effets spéciaux risibles ou de faux raccords : après tout, on ne se prend pas au sérieux ! Ce parti-pris fait donc la joie des réalisateurs qui a défaut d’en avoir le talent, en ont le titre. Le film de zombies peut donc tout autant être une usine à talents, désireux de s’illustrer par leur ingéniosité, au-delà d’un budget dérisoire, qu’une opportunité mercantile de retirer un petit bénéfice d’une « œuvre » faite à la va-vite. A la vue de ce Shadow Dead Riot, on est d’ailleurs vite tenté de le situer dans cette catégorie de divertissements.  L’affiche ressemble en effet plus à une sorte d’avertissement invitant le spectateur à détourner son chemin qu’à un aperçu éveillant l’intérêt. Derek Wan ne s’étant jusque-là illustré qu’en tant que directeur de la photographie dans des productions Hong Kongaise (et en tant que metteur en scène de deux téléfilms), on envisage cette expérience comme un entraînement, plus que comme la mise en images d’un récit avec une vision. Et pour pallier le manque de poids de son nom, on lui octroie deux vedettes d’un cinéma autre, Tony Todd, qui a connu la gloire dans Candy Man (et qui a déjà eu l’occasion de partager l’écran avec des goules dans le remake de Night Of The Living Dead, par Tom Savini), et Misty Mundae, actrice qui a réussi à se faire un nom dans le cinéma indépendant tendance trash. Or, la présence de ces « grands » noms ne garantit pas, comme on peut s’en douter, un budget confortable. L’actrice principale a une carrière bien plus modeste, même si elle a fait de la figuration dans Inside Man de Spike Lee. Mais la grande surprise de ce Shadow Dead Riot se situe dans son générique, qui annonce fièrement la présence de Tony Leung Siu Hung au poste de chorégraphe des scènes d’action. Serait-on dans un film d’arts martiaux ?



Dès les premières images, on constate que Derek Wan a une belle expérience de directeur de la photographie. Si les décors (ou plutôt le décor) ne tromperont personne, l’image, qu’on devine tourner en dv, bénéficie d’un soin particulier, ce qui contribue à immerger dans l’ambiance sordide de cette introduction sanglante. Rituels vaudous, scarifications et cannibalismes sont les ingrédients de ce prologue un peu caricatural, mais réussi. On s’éloigne donc de l’image moderne du zombie dont la condition est le résultat d’expériences scientifiques, ou de la propagation d’un virus. Avec l’avalanche d’infectés courant dans tous les sens qu’on voit habituellement dans ce genre de production, ce choix plus proche de l’origine des morts-vivants est vraiment agréable. On peut y voir un opportunisme qui jouerait sur l’image de marque de Tony Todd, habitué du surnaturel et des rituels terrifiants avec la série des Candy Man. Mais cet élément est intégré naturellement au récit, et contribue à installer une ambiance pesante. Car tout en utilisant les clichés inhérents au genre et en se jouant d’eux, Derek Wan ne cède pas à la facilité du second degré facile. Le ton est plutôt sérieux, même si les personnages versent dans les pires clichés. Carla Greene, dans le rôle de « Solitaire », joue les héroïnes chevaleresques, avec une dureté surprenante, qui détone au milieu du jeu des autres acteurs. Il suffit de voir le médecin lubrique en action, s’évertuer à exprimer le désir par les grimaces les plus spectaculaires. La subtilité ne s’arrête pas là, comme l’illustre le choix du prénom Elsa pour la gardienne homosexuelle prête à tout pour obtenir les faveurs des prisonnières. A ce titre, comme dans un grand nombre de films de prison pour femmes, l’homosexualité entre détenues et les abus prennent une place importante, « justifiant » les plans répétés sur les poitrines nues des actrices. Le premier tiers du métrage semble être l’occasion pour le réalisateur d’appliquer les quotas, puisque cet aspect ne sera presque plus présent l’heure restante. Bien sûr, la traditionnelle douche avec promesses d’abus reste présente, tout comme les tendances perverses du médecin, mais le récit va un peu dépasser cette accumulation de scènes faciles pour progresser davantage.

On peut en effet découper Shadow Dead Riot en trois éléments : son contenu soft porn, destiné à attirer un public peu regardant de ce point de vue (à part quelques plans de nu, il n’y a aucune scène qui s’étire en longueur), les conflits entre l’héroïne et la prisonnière en chef, qui ferait passer Hulk Hogan (voire l’incroyable Hulk) pour une fillette, et le récit lié à la fameuse introduction. Dans tous les cas, il y a peu de chance pour que les scénaristes aient eu des migraines en rédigeant leur scénario. Outre les clichés inévitables (l’héroïne qui finit en isolement, mais est soutenue par sa voisine de chambre. Son éveil progressif à une plus grande humanité. Ses conflits avec la hiérarchie et les autres détenues.), les coïncidences qui conduisent certains personnages à se rencontrer dans certaines circonstances sont un peu trop ahurissantes pour être crédibles, même en faisant preuve de bonne volonté. Néanmoins, la volonté de plonger le récit dans une ambiance surnaturelle est appréciable. Wan parvient à tirer le meilleur de son décor, notamment la cellule d’isolement dont les murs semblent garnis de moisissure. Le lieu principal de l’action reste un grand couloir bordé de cellules, même si les douches sont beaucoup exploitées. Ce choix contribue à l’ambiance oppressante, en particulier lorsque les zombies envahissent la prison, donnant la sensation qu’il n’y a pas d’échappatoire. Il n’y a rien d’innovant, mais le travail est bien fait. Même certains effets spéciaux parviennent à être convaincants, comme ce passage où le sang se déverse dans les cellules. On apprécie d’autant plus qu’il aurait été facile de singer The Shining, mais Wan fait le choix de s’approprier cette situation, et elle sert réellement son propos. Autre scène qui rappelle un classique de l’horreur sans en être une simple copie : le bébé zombie. Comme dans Braindead de Peter Jackson, un rejeton mort-vivant va se montrer particulièrement vorace, mettant en valeur les maquillages réussis. Si le mannequin n’est pas très crédible, son attitude est vraiment inquiétante, loin de l’hilarité que pouvait provoquer l’ignoble enfant du film néo-zélandais. D’ailleurs, les maquillages sont plutôt réussis dans l’ensemble. Les visages des goules font penser à un assemblage d’immondices, rappelant bien leur décomposition et leur aspect putride, et les effets gores ne sont pas ridicules. Les moins réussis sont camouflés par un montage un peu plus frénétique, certains plans rappelant d’ailleurs Story Of Rikki et ses têtes explosées de marionnettes.


Car de façon surprenante, Wan ne surdécoupe pas ses scènes d’action, sauf, comme précisé précédemment, quand il est nécessaire de camoufler certains effets moins convaincants. L’émeute de l’introduction est significative de ce traitement. Le combat à grande échelle est assez maîtrisé, puisqu’on ressent pleinement le chaos, tout en ayant l’opportunité de coir ce qui se déroule à l’écran. Le travail de tony Leung pour ce passage n’est pas inoubliable mais reste très sympathique, même si on aurait aimé que le tout dure plus longtemps. Les affrontements ne sont pas si nombreux que ça, mais ils sont dispersés avec suffisamment de régularité pour qu’on ne s’ennuie pas. La première heure alterne en effet combats, soft porn et scènes censées développer les liens entre les protagonistes. Mais c’est surtout pour son dernier tiers que Shadow Dead Riot mérite d’être vu. Dès que les zombies se décident à sortir de terre, l’action ne cesse plus. En fait, dès qu’on voit des mains dépasser d’une pelouse artificielle, le spectacle commence réellement. Ce passage rappelle les scènes bien plus réussies des deux premiers Return Of The Living Dead. Alors que les combats de la première heure se sont révélés sympathiques (grâce notamment à quelques chutes énergiques et quelques coups de pied brutaux), le long final va enfin mettre en valeur le talent de Tony Leung. Bien sûr, il ne s’agit pas d’un film d’arts martiaux, et les acteurs ne sont manifestement pas des athlètes émérites. Mais le chorégraphe parvient à insuffler suffisamment d’énergie tout en variant le type d’action pour qu’on se laisse convaincre. Le passage à tabac des zombies à ce titre particulièrement jouissif, même si on aurait apprécié des mises à mort plus violente. Les morts-vivants quant à eux se montrent agressifs, n’hésitant pas à dévorer leurs victimes. Dommage que le budget pour l’hémoglobine n’est pas été plus important, d’autant plus que les quelques effets auxquels on a droit sont réussis. On a finalement plus l’impression d’être dans un beat ‘em all grandeur nature que dans un film d’horreur, même si Tony Todd se charge de nous rappeler qu’il est un véritable monstre. Son duel avec l’héroïne comporte d’ailleurs quelques un des meilleurs échanges. Mais l’équipe privilégie les confrontations courtes et variées plutôt que les longs duels complexes. Le fan d’arts martiaux peut le regretter, mais il faut garder à l’esprit que ce parti-pris évite de mettre en valeur l’inexpérience du casting. De plus, le final étant très long, le rythme n’en est que plus trépidant.

La conclusion est brève mais illlustre bien ce à quoi on vient d’assister : un spectacle modeste mais sympathique, fait avec plus de soin que ce qu’on aurait pu croire. On pourra s’étonner de trouver Tony Leung au poste de chorégraphe dans un film de zombies US, mais son expérience permet de passer un bon moment, en particulier lors du très sympathique final. Shadow Dead Riot n’a rien d’un film inoubliable, mais il reste un petit budget plus que regardable.



jeudi 27 janvier 2011

Deadly Premonition


Amazing Grace. Extrêmement connue, cette chanson a été interprétée par d’innombrables artistes, dont Elvis Presley en personne. On l’entend également dans beaucoup de films ou de séries. Bruce Campbell au l’occasion de se la faire chanter dans sa série Brisco County Jr, et sa mélodie a été jouée par les cornemuses de Braveheart. Ce qui n’est pas un hasard, car si les paroles ont été écrites en 1779, l’air existait déjà dans le folklore écossais. Considérée comme l’un des hymnes chrétiens les plus populaires, elle peut être appréciée indépendamment de l’appartenance religieuse, car il y est question de spiritualité avant tout. On pourra s’étonner de la trouver dans la bande originale du jeu Deadly Premonition, mais elle est tout à fait appropriée. Car à l’heure où l’industrie  du jeu vidéo est monumentale, il devient rare de trouver une œuvre frappée par la grâce. A son annonce, Rainy woods (nom sous lequel on le présentait alors) était défini comme un survival horror, ce genre si particulier symbolisé par des sagas comme Resident Evil ou Silent Hill. Zombies aux corps tordus, geysers de sang et ambiance rurale étaient alors les aliments d’un menu peu attirant. Car Deadly Premonition n’a rien d’un jeu ambitieux lorsqu’on observe sa parure. Alors que la majorité des productions actuelles s’affrontent à coups de graphismes toujours plus élaborés et réaliste, le jeu d’Access Game donne plutôt l’impression d’être conçu pour l’ancienne génération de consoles (ce qui était d’ailleurs le cas à l’origine). Mais les concepteurs ont conscience du rendu de leur produit, immédiatement annoncé dans la gamme budget. Depuis sa sortie, le survival horror rural à petit budget a fait couler bien plus d’encre que ce qu’on aurait pu croire. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il déchaîne les passions. Les avis sont très tranchés, puisqu’il y a le camp des adorateurs et celui des détracteurs. Parmi les défenseurs de l’œuvre, un certain nombre de critiques parle d’un jeu tellement mauvais qu’il en devient excellent. Une sorte de nanar vidéoludique où le ratage devient un art en quelque sorte. Et effectivement, il est très facile de s’arrêter aux défauts évidents d’un jeu qui semble en retard de quelques années sur presque tous les plans. Outre le visuel daté, la jouabilité est rigide, et l’aspect sonore risque de ne pas être du goût de tout le monde. Les musiques, très particulières, ont en effet tendance à tourner en boucle, par moment de façon presque aléatoire, et les bruitages ressemblent à ceux du premier Silent Hill.



Une telle description repousserait beaucoup de joueurs, mais certains ont au contraire été interpellés par ce tableau atypique. Twin Peaks, la fameuse série télévisée initiée par David Lynch et Marc Frost, est une influence à la mode ces derniers temps, et les différentes images du jeu laissaient présager une ambiance proche, alternant quotidien champêtre et peintures surréalistes. Alan Wake avait tenté un mélange similaire pour un résultat bien plus policé. Plastiquement, l’œuvre de Remedy était irréprochable, et ses mécanismes de jeu étaient particulièrement efficaces. Mais sa grande linéarité et ses personnages artificiels ont diminué son impact. Le manque d’interactions avec les habitants, l’impossibilité d’évoluer librement en ville pour s’imprégner de cette atmosphère peu exploitée dans les jeux vidéos manquaient. Deadly Premonition fait le choix de ne pas imposer son rythme au joueur. Après un prologue qui permet de se familiariser avec l’ambiance surnaturelle du titre et sa jouabilité rigide, mais pas insurmontable, on est rapidement confronté à l’un des éléments importants du jeu : sa liberté. Comme dans Dead Rising, l’horloge tourne, imposant de respecter certains horaires pour déclencher certains événements. Ce parti-pris favorise le sentiment de participer à une enquête le jour le jour, sans pour autant limiter les possibilités. Un rendez-vous manqué n’est ainsi ni un game over, ni la fin de l’histoire. Le point de rencontre sera juste accessible le lendemain. A noter également qu’il n’est pas nécessaire d’être à un endroit donné à une heure précise, mais qu’on nous propose un créneau horaire qui permet de visiter les lieux tranquillement, sans rater les rencontres. Car avant d’être une enquête criminelle, Deadly Premonition est la rencontre entre un citadin de la grande ville, l’agent du FBI Francis York Morgan, et une petite ville de campagne où tout le monde se connaît.


Le contexte est donc très proche de Twin Peaks, et l’ambiance familière presque identique. Il suffit de se rendre dans le diner du coin pour comprendre que les habitants ont tous une personnalité à part, et que leur parler est l’un des plaisirs que réserve le jeu. En vérité, tous les habitants ne sont pas « vivants », puisqu’il n’y en a qu’une trentaine avec qui on peut interagir. Ces dialogues sont non seulement très vivants, et souvent drôles, mais ils permettent également de se lancer dans des quêtes annexes, dont l’accomplissement octroie des bonus parfois importants. Et si certaines tâches sont des plus triviales, elles apportent beaucoup au contexte et favorisent l’immersion. On a réellement l’impression de commencer à connaître ces gens, ce qui rend l’enquête bien plus passionnant. On sait que l’un d’eux est le meurtrier, mais qui, pourquoi ? Le fait de les connaître permet de s’interroger sur leurs motivations, sur leurs liens avec la victime, ce qui n’aurait pas été possible dans un contexte plus linéaire. Découvrir la ville librement, en s’y promenant à notre gré permet de s’approprier les lieux, de les découvrir progressivement en ayant la sensation d’y vivre, plutôt que de subir les couloirs d’une forêt, comme dans d’autres jeux moins audacieux. Au-delà des quelques activités qu’offre la région (pêche, cueillette, jeu de fléchettes), dont l’intérêt reste moindre, le fait de se glisser sous la fenêtre d’une maison pour espionner ses habitants a un côté voyeur tout à fait réjouissant, qui s’inscrit dans cette volonté de nous immerger. Car bien loin d’être un survival horror, ou un gta-like, Deadly Premonition est un mélange de genres, une expérience à part entière, qui se vit intensément. Qu’il s’agisse de suivre des suspects, de récolter des indices, d’affronter des morts-vivants à mi-chemin entre le zombie et le fantôme, la diversité est au rendez-vous. Ce parti-pris procure un rythme très agréable au jeu, qui n’est jamais prévisible, sans pour autant que le déroulement paraisse arbitraire. Composé d’un prologue et de 6 épisodes, plus un épilogue, Deadly Premonition n’hésite pas à présenter plusieurs chapitres sans que le joueur soit amené à affronter le moindre adversaire.

Les rencontres inamicales se déroulent dans une version alternative de lieux connus, à la manière d’un silent Hill, sans que le design soit aussi radicalement bouleversé. On en vient d’ailleurs rapidement à s’interroger autour de la fiabilité de la narration, puisque notre personnage semble être le seul à croiser les goules. Leur apparence évoque immanquablement le zombie classique, popularisé par Romero et Fulci, tout comme l’allure de leurs déplacements. Mais ils possèdent quelques aptitudes qui rappellent davantage des revenants. De même, leurs attaques peuvent surprendre, comme ces femmes mortes-vivants qui se déplacent à 4 pattes le dos tordu, avant d’enfoncer leur bras dans la bouche de York. De ce point de vue, l’équipe ne s’est pas donné beaucoup de travail, il n’y a que 4 ou 5 modèles d’ennemis, et leur stratégie est toujours la même. Pour se défendre, dispose d’une panoplie d’armes partagée entre objets de corps à corps, efficaces, mais destructibles, et armes à feu peu convaincantes mais qui permettent de conserver de la distance. La visée est presque identique à celle de Resident Evil 4, on ne peut d’ailleurs pas avancer en tirant. Mais il est bien plus difficile de viser, à cause d’un curseur qui a tendance à se déplacer fiévreusement.  Cet aspect n’est pas insurmontable, il suffit d’un petit temps d’adaptation, mais il fait des donjons une épreuve moins agréable qu’elle n’aurait pu l’être. On en vient rapidement à ne plus attendre ces rencontres, ce qui ne gâche pas le plaisir de jeu, puisqu’elles n’en constituent absolument pas le cœur. Si la mise en scène et l’aspect sonore confère une ambiance sombre à ces moments, le nombre conséquent de munitions et de trousses de soins ne donne pas une réelle sensation de danger. Pourtant l’angoisse n’est pas totalement absente. Le fameux tueur à l’imperméable qu’on poursuit est en effet plutôt inquiétant, et sa force semble démesurée. On aura donc l’occasion de faire les frais de sa puissance. D’ailleurs, plutôt que de le combattre, on prendra la fuite, dans des séquences en split-screen réellement stressantes, grâce à une mise en scène efficace et une jouabilité convaincante. Il faut secouer le stick comme si notre vie en dépendait pour courir, ce qui contribue bien sûr à nous immerger dans ces scènes d’action. N’oublions pas des séquences de cache cache éprouvantes,  au cours desquelles il faut veiller à s’engouffrer dans la cachette la moins évidente pour ne pas finir empalé !


Mais au-delà de ses séquences horrifiques et de son aspect gta/shenmue, ce sont ses personnages qui font de Deadly Premonition une œuvre à part. Le héros, Francis York Morgan, est tout simplement fascinant. Et pas seulement à cause de son besoin de se confier à son ami imaginaire Zach. Son côté décalé n’est bien sûr pas sans rappeler l’agent Dale Cooper interprété par Kyle Maclachlan dans Twin Peaks. Mais York n’est pas une pale copie. Au contraire, il possède une identité très forte, et on se prend rapidement à sourire en assistant à son rituel de présentation, inévitable lorsqu’il rencontre un nouvel habitant. On a également plaisir à le voir citer des films de série B classiques des années 80, mais c’est surtout son côté décontracté en toute circonstance qui le rend si attachant. Sa propension à allumer une cigarette même dans les scènes les plus dramatiques lui donne une allure incroyablement cool. On a d’ailleurs constamment l’impression que tout n’est qu’un jeu pour lui, et qu’il connaît des éléments qui sont encore flous pour nous. Mais ce vernis, de personnage très charismatique n’en fait pas un être lisse ou une caricature. On va apprendre à le connaître au fil des heures, à le comprendre, et à souhaiter passer plus de temps en sa compagnie. Les autres protagonistes, sont disposer d’une telle richesse, ne sont pas en reste, et sont écrits avec nuance. Et c’est bien l’importance de ces rencontres qui en fait un jeu si particulier, et si sincère. Au-delà de ce qu’on peut penser de l’intrigue, il y a une réelle volonté d’immerger le joueur dans une histoire tour à tour drôle, surprenante, touchante, belle, puis toutes ces émotions à la fois.

A l’image de la ville qu’on découvre, Greenvale, Deadly Premonition est un jeu qui a une âme, ce qui suffit largement à dépasser ses défauts pour se lancer dans une expérience riche et prenante de bout en bout pour un voyage magique !



lundi 24 janvier 2011

Identity Crisis



Brad Meltzer est l’un de ces scénaristes qui se sont fait connaître par leurs travaux de romanciers avant rédiger des scénarios de comics. Après s’être illustré dans des nouvelles, il écrit ainsi les aventures de Green Arrow, succédant ainsi à Kevin Smith, et ce de 2002 à 2004. Il n’abandonnera pas le personnage, puisque l’archer masqué est le narrateur central de Identity Crisis. La transition du roman vers le comics est intéressante, les deux formats ne permettant pas les mêmes narrations. Et bien que le roman soit considéré comme un média plus noble, il n’est pas évident qu’un romancier fournisse un meilleur travail qu’un scénariste de bande dessinée lorsqu’il s’agit de travailler en collaboration avec un dessinateur. Pourtant, le mélange n’est pas impossible. De ce point de vue, il est intéressant de comparer le travail de Meltzer à celui d’Alan Moore. Bien que le scénariste de Watchmen ait débuté dans les comics et ne se soit essayé que tardivement à l’écriture en prose, il reste l’un des écrivains les plus littéraires de l’industrie. Et pour cause, ses sources d’inspiration sont avant tout des autres de roman, dont William S. Burroughs, à qui l’on doit le Festin Nu, qui fut adapté librement par David Cronenberg. Cette comparaison n’est bien sûr pas innocente, car Identity Crisis s’inspire dans l’héritage direct de Watchmen, dont il constitue en quelque sorte le pendant des années 2000. Cette œuvre est considérée comme l’un des piliers de l’image moderne du super-héros, plus sombre et nuancée. Et si depuis 1986, certains artistes ont confondu maturité et violence gratuite, de nombreuses histoires ont fait l’objet d’interrogations morales qui placent le monde des comics dans un contexte crédible, à défaut d’être vraiment réaliste. A ce titre, comme dans Civil War de Marvel, le danger que représente la lutte contre la criminalité est étudié. L’importance du masque, comme rempart entre les criminels et l’identité civile est au centre du récit. Or, si les héros conservent la plupart du temps une double identité, ce n’est pas tant pour leur propre sécurité que celle de leur famille. Pourtant, comme chez Marvel, le parallèle avec les représentants de l’ordre officiels n’est pas évoqué, alors qu’il aurait constitué un apport tout à fait intéressant pour faire écho aux thématiques de l’histoire. Mais ce parti-pris est tout à fait en adéquation avec le traitement qu’applique Meltzer à son propos clairement intimiste.


Le chapitre d’ouverture donne d’ailleurs immédiatement le ton, au gré de la narration d’Elongated Man, qui remet immédiatement en perspective ces risques bien réels. Le scénariste en profite d’ailleurs pour faire référence à sa carrière de romancier, tout en discutant du statut de rôle principal de façon amusante. Il y an effet un côté anecdotique très immersif dans les discutions qu’entretiennent les personnages entre eux. Et c’est cette attention aux détails qui fait qu’au-delà du spectaculaire de certaines situations, ce sont les liens qui existent entre les protagonistes qui permettent à Identity Crisis de se démarquer du reste de la production. Qu’il s’agisse de se moquer d’un héros vieillissant ou de montrer une scène du quotidien entre l’un d’eux et ses parents, le scénariste n’oublie jamais que c’est l’humain qui intéresse le lecteur. Sauver des vies et s’illustrer dans des actions éclats est le quotidien des super-héros, mais le voir au moment où ils sont le plus faible, face à des situations que chacun de nous est amené à connaître permet de s’identifier bien plus à eux, et donc d’être touché par leur destin. Mais l’une des différences entre un roman et comics, comme évoqué précédemment, est de permettre au scénariste de s’appuyer sur le dessinateur. Et Rag Morales est le comparse idéal pour cette histoire. Son style donne un véritable sentiment de familiarité, comme si on contemplait de vieux amis, fatigués par les événements. Son travail alterne parfaitement le côté iconique des grandes figures telles que Superman, Wonder-Woman ou Batman, et les passages plus tragiques, qui nous rappellent qu’un héros n’est rien d’autre qu’un être humain qui essaie de faire la différence dans un monde violent. Car une histoire excellente avec de mauvais dessins peut rapidement devenir un calvaire à lire. Mais la complémentarité entre le sens du détail du scénariste, et la capacité à dépeindre le quotidien dans tout ce qu’il a de plus touchant du dessinateur assure un équilibre réussi.


Un exercice d’autant plus difficile que le récit alterne les points de vue et multiplie les situations afin de créer des parallèles entre les personnages. On pourrait y voir une volonté mercantile de présenter le plus de héros possibles, certains d’entre eux n’ayant à priori qu’une importance modérée dans le déroulement de l’intrigue. Pourtant, ces différentes scènes fonctionnent en écho, renforçant le sentiment que cette communauté est plus une grande famille que des regroupements de personnages hauts en couleurs. On pourrait également craindre que cet enchaînement de séquence finisse par rendre Identity Crisis indigeste, ou que l’émotion devienne trop forcée. Mais non, Meltzer a une véritable connaissance des personnages, et il parvient à rendre leurs réactions naturelles, en s’appuyant davantage sur des non dits, des gestes subtils, pour exprimer bien plus qu’en assénant de grands discours. A ce titre, les retrouvailles entre Oliver Queen et Hal Jordan parviennent à recréer l’enthousiasme de leurs aventures en duo en à peine 2 pages, grâce à un choix de mots aussi simple qu’efficace. L’équipe parvient même à mettre en scène quelques passages inoubliables, qui marqueront les lecteurs pendant longtemps. Les épreuves traversées par Sue Dibny justifient à elles-seules qu’on qualifie le récit de mature, et malgré leur contenu, il n’y a pas de complaisance. Juste une brutalité terrifiante et crédible. La peur, la perte, la douleur, la colère, des émotions que tout le monde connaît, et qui trouvent parfaitement leur place ici. Or, malgré ce tumulte d’émotions, l’intrigue n’est jamais chaotique, grâce à un travail important sur la narration. Tout en multipliant les points de vue, Meltzer fait ainsi de Green Arrow son principal conteur. Un choix qui fonctionne tout à fait car il comprend ce personnage et le rend vivant. De plus, l’archer est un compromis pertinent entre les héros les plus connus et les seconds couteaux moins familiers pour le grand public. Ce qui permet une liberté de ton appréciable, mais aussi une nuance qui aurait peut être été moins évidente si Superman avait été le narrateur.

Green Arrow va ainsi servir de repère au lecteur, lui rappelant à la fois ce qui fait un héros, mais aussi pourquoi les récits actuels sont plus violents et plus nuancés que ceux de l’âge d’or. De plus, le héros détaille bien les émotions sans pour autant trop en rajouter ou verser dans le sirupeux. Le héros a également une place intéressante dans les différents cercles de justiciers, ce qui permet d’approfondir de façon duelle ses relations avec ses alliés. Difficile d’imaginer ses disputes avec Wally West, successeur de Barry Allen sous le costume de Flash, exploitées avec autant d’efficacité avec un autre personnage. Or, non seulement cette relation est au centre de l’intrigue et sert de catalyseur aux questionnements moraux, mais elle permet de mettre en parallèle les personnalités des deux Flash. Enfin, au milieu de ce climat de paranoïa, où chaque héros en vient à craindre pour sa famille plus que jamais, retrouver la voix d’Oliver Queen à intervalles réguliers a quelque chose de rassurant. Un sentiment peut-être illusoire, car le lecteur comprend vite qu’il n’est, comme les personnages, à l’abri d’aucune surprise. Sans pour autant que les coups de théâtre virent au grand guignol. En sept épisodes, Meltzer parvient donc à faire avancer son intrigue, tout en s’appuyant sur des personnages solides, et en inscrivant son récit dans la continuité. Pour autant, il n’oublie pas l’action, et même si elle n’est pas le point central, on a droit à quelques combats extrêmement bien chorégraphiés. La rencontre avec Deathstroke est particulièrement réussie, mettant en valeur tant les talents de stratège du mercenaire que le travail d’équipe des héros qui ne se contentent pas de leurs pouvoirs pour se battre. Cet adversaire est exploité habilement comme le pendant négatif de Batman, réputé pour se préparer à toute éventualité. Mais il n’est pas le seul à mettre en relief les parallèles entre criminels et héros. Le calculateur, véritable Némésis d’Oracle, est ainsi au centre du récit. Si Barbara Gordon a su dépasser la perte de son identité de Batgirl pour devenir la source d’informations indispensable aux héros, le calculateur a abandonné sa carrière de criminel de seconde zone pour devenir la version criminel d’Oracle.


 Mais au-delà de ces effets de miroir, c’est la juxtaposition des destins de personnages aux situations immédiates similaires qui impressionne. Alors que Meltzer ne fait apparaître le chevalier noir que très tardivement, il écrit l’une des scènes les plus marquantes et les plus belles dans lesquelles on a pu voir le héros, faisant écho à l’inoubliable découverte de Jason Todd dans Batman 428. Et c’est bien ce constat qui permet de comprendre l’ampleur du talent du scénariste. Tout en mettant en scène Batman que le temps de quelques scènes, il en fait l’une des présences les plus importantes de l’histoire, exploitant autant son statut de légende urbaine que sa grande humanité, nous rappelant une fois encore que la tragédie, si elle a poussé Bruce Wayne a se perdre dans son rôle de Batman, ne l’a pas transformé en simple masque. Et une fois de plus, les dessins de Morales se révèlent dignes de la qualité du script. Un dessin d’œil en particulier est inoubliable. Le mystère qui permet à tous ces secrets d’éclore est aussi surprenant que bien amené, mais sa plus grande qualité est finalement de permettre à tous ces détails du quotidien, et à toutes ces sous-intrigues de nous montrer les héros sous leur jour le plus vulnérable, et donc le plus humain.

On sourit avec eux, on a peur pour eux, on pleure avec eux, et on ressent leur nostalgie. Et ça, c’est bien la marque des grands. Identity Crisis est une œuvre à posséder absolument, même si l’on n’est pas familier de l’univers Dc !


jeudi 20 janvier 2011

Shadowland - la fin de Daredevil...

“Matt Murdock dared evil and lost”. Voilà l’une des phrases d’accroche que l’on peut lire dans le résumé de Shadowland, un event qui a le mérite de se centrer sur le protecteur de Hell’s Kitchen, qui ne joue généralement qu’un rôle mineur dans les histoires les plus importantes de l’univers Marvel. Et en effet, cette citation synthétise l’ensemble du run d’Andy Diggle sur le personnage, scénariste diabolique qui aura tout mis en œuvre pour ruiner la réputation du héros. La popularité de l’avocat aveugle a toujours été fluctuante, mais depuis le « Guardian Devil » de Kevin smith et Joe Quesada, le titre avait connu une expansion, tant qualitative que commerciale qui ne s’était pas démentie. Il faut dire que les runs successifs de Brian M. Bendis et Ed Brubaker n’épargnaient pas le héros et le plongeaient dans des histoires d’une grande intensité, immergeant le lecteur dans un tumulte de dangers, de suspense et d’action. Le passage de flambeau entre les différents auteurs s’est fait à un moment où le statu quo était bouleversé, modifiant chaque fois plus radicalement le monde du héros. Lorsque Diggle met sa plume au (des)service du personnage, c’est pour en faire le leader de la main, une société secrète japonaise, dont les ninjas sont prêts à mourir pour accomplir leur cause. Daredevil compte au contraire en faire une armée au service du bien, afin de purger définitivement Hell’s Kitchen des vices qui la rongent. Et il a fort à faire avec le retour du Caïd et de Bullseye. Shadowland est donc la continuité de cette histoire, d’ailleurs le titre principal ne se suffit pas, et il faut lire en parallèle « Daredevil » pour connaître l’intégralité de l’intrigue. Et si l’on en croit la liste d’épisode de la maison des idées, les nombreux one-shot mettant en vedette des seconds rôles de cet event, tels que Spider-man ou Elektra sont indispensables. Bien sûr, et comme souvent, la vérité est tout autre. Les épisodes en question se présentent comme des introspections, censées mettre en valeur les tourments des héros qui assistent impuissants aux agissements déviants de leur allié et ami. En plus de ne rien apporter de concret à l’intrigue, ils sont particulièrement redondants, puisque tous ces questionnements sont exposés à l’excès dans le titre principal.



Car Diggle ne semble pas avoir une grande confiance en ses lecteurs et en leur capacité à retenir les éléments d’intrigue. Pas plus qu’il ne semble savoir quoi raconter. L’histoire en elle-même est découpée sur 9 épisodes, 5 pour « Shadowland », puis 4 pour « Daredevil ». « Daredevil 512 » est un peu à part, puisqu’il fonctionne davantage comme un épilogue que comme une part réelle de l’histoire. A ce premier épilogue s’ajoute « Shadowland : After The Fall », qui n’est autre… qu’un second épilogue. Si l’on accepte de prendre en compte ces 11 épisodes comme étant l’intégralité de l’event « Shadowland » (puisqu’à part le deuxième épilogue, tous sont au moins co-écrits par Diggle), on peut sérieusement s’interroger sur la sincérité de Marvel envers ses fans. L’histoire est en effet tellement insipide qu’il serait aisé de la réduire à 3 actes, chacun comprenant un épisode, donc 3 épisodes. Etant donné les annonces récentes de la maison des idées sur l’avenir du héros, la description de ces 3 actes ne constitue pas un véritable spoiler, même si certains préfèreront ne pas la lire. SPOILER : Acte 1 : Daredevil a pris le contrôle de Hell’s Kitchen et joue les maîtres de dongeon. Il assassine froidement Bullseye, se mettant les héros à dos. Acte 2 : bataille durant laquelle tout semble perdu pour les héros, y compris l’âme de Matt, pendant que la caïd complote en secret. Acte 3 : les héros battent le démon, matt va se confesser à l’église et part sur la route. FIN DU SPOILER.
Le premier épisode de shadowland illustre totalement l’incapacité du scénariste à raconter une histoire logique. Outre l’évasion risible de Bullseye, digne d’un film de série B des années 80 (le découpage de la scène est par contre assez réussi), on rira du meeting des vengeurs, qui annonce une implication importante de leur part, alors qu’on ne les reverra plus jamais dans le récit. Puis Luke Cage et Iron Fist discutent de leurs doutes sur l’attitude de Matt. Ce qu’ils ne cessent de faire depuis que Bendis a écrit son run. Ce dialogue insipide n’est d’ailleurs que le premier d’une longue série de discussions entre les deux personnages, dont l’issue sera toujours identique. L’impardonnable se produit alors (et, comme tout ce qui se passe dans cette histoire, il se reproduira plusieurs fois) : l’un des personnages, en l’occurrence Bullseye fait un commentaire qui renvoie directement à l’incompétence du scénariste. « Epargne-moi ce vieux refrain ». Pourquoi Diggle n’a-t-il pas écouté le conseil qu’il a lui-même écrit, ne nous épargant aucun des recettes déjà largement éprouvées par d’autres scénaristes plus convaincants ? Entre l’inévitable confession d’un Matt qui n’est pas rentré dans une église « depuis trop longtemps », son départ sur la route, qui s’annonce, d’après la qualité du premeir épisode de « Daredevil Reborn » (toujours pas Diggle), comme du Nocenti du pauvre, en passant par les interminables jérémiades des alliés et leurs débats puérils, tout a déjà été vu des dizaines de fois. Matt fonçant dans le mur pour repartir sur de meilleures bases est un schéma tellement usé qu’on est presque soulagé de voir le héros céder sa place à un autre justicier (dont les deux premiers épisodes sont d’ailleurs excellents).



On serait tenté de croire, à la fin de l’épisode d’introduction, et malgré ses nombreux défauts que le reste de l’histoire va bénéficier d’un traitement plus audacieux, le sort réservé à Bullseye étant aussi brutal que percutant. Qui n’a pas imaginé cette scène des dizaines de fois ? Ce traitement radical ouvre effectivement des possibilités très intéressantes, les implications morales étant fortes. L’apparition du punisher dans un tel contexte, étant donné ses relations avec Daredevil, pouvait d’ailleurs être passionnante. Mais au-delà du fait qu’une confrontation entre ces deux personnages a déjà eu lieu sous la plume de Brubaker (sans réellement convaincre d’ailleurs), l’anti-héros n’est finalement quasiment pas exploité, et sa présence n’apporte rien d’un point de vue narratif. Il n’est d’ailleurs pas le seul à ne faire que de la figuration, le but étant de faire apparaître le plus de héros. On l’a déjà vu, les vengeurs se montrent le temps d’un discours, sans que cela ait une quelconque influence sur le récit, mais la sous intrigue de Moon Knight, sensiblement plus longue, est tout aussi inutile et ne changera en rien le cours des événements. La palme revient tout de même à Ghost Rider, qui se présente dans un épisode, et ne réapparaît que trois épisodes plus tard, pour… ne servir à rien. Si l’auteur ne l’avait pas employé, rien n’en aurait été changé dans l’histoire… si ce n’est sa longueur. Et les exemples ne manquent pas. Cette utilisation artificielle des seconds rôles est réellement agaçante, mais ne peut pas rivaliser avec la répétition incessante de scènes identiques sans conséquences sur l’intrigue. Foggy et Dakota North ont ainsi pour seul rôle de se faire attaquer (à chaque fois sur une dizaine de pages), dont deux fois dans des circonstances similaires. De même, Foggy va débattre à plusieurs reprises avec Becky, sans qu’aucun d’eux n’apporte de nouveaux éléments, et ce même lorsque la situation est réglée. D’ailleurs, les personnages sont écrits en dépit de leur personnalité. Voir Franklin Nelson escalader à mains nues une muraille est plutôt ridicule, mais le voir s’obstiner à déclarer « Matt est mon ami, il est trop cool, vous êtes tous des méchants » est assez désespérant. Bendis avait réussi à le décrire comme loyal et digne, tout en montrant qu’il faisait preuve de suffisamment de recul pour condamner certains actes de son ami, et le conseiller.
Mais Diggle semble conscient qu’il ne comprend pas ses personnages, et pour nous convaincre qu’il sait ce qu’il raconte, il bourre les épisodes de scènes sans aucune subtilité, comme lorsque les yeux de White Tiger sont rouges, afin qu’on soit certain qu’elle est démoniaque. Ou encore quand Matt est possédé, et fixe le lecteur de façon diabolique en lâchant un « yessssss » pervers. N’oublions le nouveau costume, gris foncé et rouge, parce que quand on rejoint le côté obscur, il faut que ça se voit !



Sans compter que les dialogues sont d’une bêtise affolante. Présence de ninjas oblige, il faut bien mettre des phrases philosophiques. Et Diggle a du se creuser les méninges pour écrire des inepties comme « Ton amour pour Murdock te rend aussi aveugle qu’il ne l’est » ou « Il y a le bien et il y a le mal. Ceci est mal et tu le sais » ou encore « La justice c’est ce qu’on en fait ». Si Dc s’est démené l’an dernier pour livrer des monuments du nanar avec le « Batman Oddyssey » de Neal Adams, et le « Batman Wydening Gyre » de Kevin Smith, Marvel a organisé une riposte agressive en mettant Diggle aux commandes de Daredevil et de « Shadowland ». Son obstination à marteler le crâne du lecteur avec des scènes et des dialogues identiques frôle le harcèlement moral, comme s’il tenait à ce que tous mettent fin à leur abonnement au titre. Dans le même ordre d’idée, comment expliquer que « Daredevil 509 », listé après « Shadowland 2 », se déroule avant ? Les aberrations s’enchaînent avec autant de constance que d’insistance, à tel point qu’on ne sait rapidement plus si l’on doit être consterné ou rire. Shang Chi se lamentant de ne plus être le roi du kung fu alors que New York est sur le point de disparaître sous une dictature féodale de l’enfer a tout de même quelque chose de risible. Puis, alors qu’on ne s’y attend pas, un événement qui s’est déjà déroulé 3 fois auparavant va à nouveau arriver. Izo va par exemple passer presque 9 épisodes à nous expliquer le mal qui frappe ce pauvre Matt Murdock, qui reste tout de même plus chanceux que ses fans obligés de subir son agonie artistique. Les héros souffrent peut-être de voir leur ami devenir un chef de secte au rictus rappelant Fu Manchu, mais les lecteurs souffrent encore plus en découvrant qu’on peut leur infliger un tel « event » sans impunité. Si l’enfer existe, son horreur doit être aussi atroce que l’écriture d’Andy Diggle. Et qu’on ne me dise pas que « Shadowland » pavé de bonnes intentions ! Difficile de croire que le scénariste ne se moque pas de ses lecteurs quant en fin de récit il fait demander à J. Jonah Jameson « Mais où sont les vengeurs quand on a besoin d’eux », mettant une fois de plus la spectaculaire ineptie de son script. Sans enjeux, sans tension, sans idées, seules les scènes d’action pourraient sortir le lecteur de sa léthargie, mais les figures acrobatiques de plus en plus ridicule de Daredevil font davantage penser à un fakir sous amphétamine qu’à un athlète possédé par un démon. Et quand finalement le dénouement se profile, il est expédié avec un tel je m’en foutisme qu’on comprend que « Shadowland » est bel et bien un canular. Constat renforcé par les propos récents de Quesada qui chante les louanges du titre, vantant son travail de rédacteur en chef, un poste où on sera heureux de ne plus le voir d’ailleurs, tant ses choix artistiques ont été douteux et même puérils ces dernières années. Non Monsieur Quesada, « Shadowland » n’est pas une bonne histoire, c’est même difficilement une histoire tout court, et comme le désastereux « One More Day » dont vous êtes à l’initiative, il témoigne d’un manque de considération désolant à l’égard des lecteurs. Bien sûr, il est important qu’une maison d’édition de montre audacieuse et soit prête à ne pas écouter aveuglément les fans, mais de là à se moquer d’eux comme vous le faîtes, il y a une nuance non négligeable.


Pourtant, et malgré la déception, l’incompréhension même, on veut y croire jusqu’au bout, on se dit que l’épilogue sera salvateur, mais l’épisode 512 de Daredevil est d’une nullité tellement abyssale qu’on a la sensation que Diggle veut s’assurer que plus personne ne veuille jamais plus entendre parler de Matt Murdock. Il tente même de nous faire mépriser les runs d’auteurs bien plus talentueux, en singeant par exemple Ann Nocenti dans un « Daredevil Reborn » dont le premier épisode est encore plus mal écrit que tout ce qu’il a pu faire jusque-là. Mais ça ne s’arrête pas là, car on a droit, comme expliqué précédemment à un deuxième épilogue, moins atroce, mais qui reste insipide. On notera tout de même un ou deux passages bien rédigés, comme la discussion finale sur l’influence de Daredevil à Hell’s Kitchen, prouvant que Anthony Johnston est un auteur à ne pas surveiller mais tout de même meilleur que Diggle.

Après des années d’exception, le diable de New York quitte la scène de façon désolante, et on ne peut que le regretter. D’ailleurs, tout porte à croire que dans les années à venir, on pourra parler de « Shadowland » comme de l’équivalent du « Batman Et Robin » de Joël Schumacher…

mardi 18 janvier 2011

Spider-man - Frères ennemis

Quand un personnage de bande dessinée existe depuis plusieurs décennies, il est inévitable que certaines de ses aventures soient qualifiées de médiocres, voire de mauvaise, et ce indépendamment de la popularité dont bénéficie le héros. Récemment, Andy Diggle a eu à cœur d’offrir à Daredevil un run et un crossover des plus discutables, après plusieurs années d’épisodes très réussis. Spider-man, véritable mascotte de l’univers Marvel, a quant à lui eu droit à des récits très mauvais et à des coups de théâtre risibles à de nombreuses reprises au cours de la dernière décennie. Mais s’il y a bien une période de la vie du tisseur qu’on peut qualifier de controversée, c’est bien celle qu’on désigne comme « la saga du clone ». Tout a commencé en 1965, avec l’apparition du professeur Miles Warren, professeur de Peter Parker et Gwen Stacy. Amoureux de la jeune femme, le professeur jurera de se venger de Spider-Man, qu’il juge responsable de la mort de la belle blonde. Il crée donc l’identité du chacal, arborant un costume vert et multipliant les machinations destinées à piéger le héros. Mais c’est en ayant accès à des recherches sur le clonage qu’il va mettre au point son plan le plus diabolique. Après avoir mis au monde plusieurs clones ratés de Peter Parker, le Chacal va se trouver face à une copie parfaite, et va s’arranger pour que les deux hommes araignées s’affrontent. Au terme du duel, tout le monde pense le clone décédé. Jusqu’à ce que des années plus tard, toute une série de clone, en particulier le clone parfait qu’on pensait mort, ne revienne bouleverser la vie du héros…

A l’époque de la publication de frères ennemis, le doute sur l’identité du Peter Parker original plane encore largement, le Chacal multipliant mensonges et manipulations. Le récit se déroule 2 ans avant la saga du clone. On pourrait d’ailleurs presque l’appeler « Scarlet Spider Year One », tant il peut être considéré comme fondateur de la personnalité de celui qui se fait appeler Ben Reilly. Un nom choisi en hommage à ceux qui l’ont élevé, Ben et May Parker, Reilly étant le nom de jeune fille de cette dernière.



Comme dans « Batman Year One » de Frank Miller, l’intrigue est narrée en parallèle par le héros et un membre incorruptible des forces de l’ordre, confrontés à une corruption violente. On trouvera d’autres similitudes, l’ambiance étant proche, Mais J.M Dematteis parvient à éviter le plagiat. Pour commencer, les protagonistes narrent leurs péripéties au passé, avec une certaine nostalgie d’ailleurs. On a donc conscience très tôt que les périls qu’ils courent ne seront pas insurmontables. En tout cas pas pour eux. Mais surtout, leur rencontre, dont le déroulement aurait pu être simple, va être perturbée par l’intrusion d’un troisième narrateur, la pièce qu’on n’attendait pas, la Némésis ultime, le double malveillant : Kaine. Prototype plus ancien de clone, il possède également l’adn, et donc les pouvoirs de Peter Parker. Mais il souffre d’une dégénérescence accélérée, qui lui cause des crises de douleur atroces et remplit son corps et son visage de cicatrices. De tous les protagonistes de la saga du clone, Kaine est l’un des plus troubles, et l’un des plus intéressants. Le tumulte d’émotions qui rend son quotidien si difficile le rend imprévisible, mais permet aussi de s’attacher à lui. On est loin de l’antagoniste manichéen dont les motivations se résumeraient à piller des banques et dominer le monde. On ne peut pas non plus limiter sa quête à une simple vengeance. Kaine n’est ni un Peter Parker 3, ni un fou criminel. Bien que ne correspondant pas au statut de héros, ni même véritablement d’anti-héros, il lui arrive de se comporter héroïquement, et il manifeste un véritable sens moral, bien que ses actes puissent être immoraux. Dans « Frères ennemis », sa haine pour Ben Reilly est compréhensible, la rage qu’il ressent face à l’empathie d’un être qui lui est en tout point supérieur (pas de troubles physiques, pas de crises de douleurs, un sens du devoir et un héroïsme admirables) serait presque légitime.

Le vrai sujet de « Frères Ennemis » n’est pas le combat de quelques personnes contre un système gangréné par la violence, l’horreur, la peur et la corruption. Ces thèmes ne constituent que le décor d’une quête d’identité. Comment exister quand on est le clone d’un héros ? Comment être soi quand on vit avec les souvenirs d’un autre ? Comment accepter d’être une copie raté et de voir réussir les autres ? Comment être un flic intègre quand il y a plus de déboires que de compensations à être honnête ? L’histoire de ces 3 hommes est touchante, parce qu’elle est crédible. On ne peut pas parler de réalisme quand on admire les exploits d’homme capables de bondir de toits en toits, d’escalader des murs ou de soulever des voitures. On peut par contre être immergé dans leur vie, dans leurs tourments, qui malgré le caractère fantaisiste de l’univers dans lequel ils évoluent sont universels. Qui n’a pas connu la frustration d’être le second, de ne pas savoir comment se construire, de voir ses convictions les plus profondes remises en question par des événements injustes ? Et c’est bien là la force de Dematteis, qui rend les situations vraies. Il trouve d’ailleurs un complice excellent en la personne de John Romita Jr. Habitué à mettre en dessins les aventures de l’homme araignée (tradition qui se transmet de père en fils chez les Romita), l’artiste était à l’époque dans la phase la plus intéressante de son travail. Son style a beaucoup évolué au fil des ans, mais on peut trouver son travail actuel trop cartoon, les visages étant par exemple beaucoup moins détaillés. Dans les années 90, Romita Jr dessinait des carrures parfois excessives à ses héros, mais leur donnait un visage bien plus humain, fourmillant de détails qui exprimaient la peur, la tristesse ou la joie avec une efficacité déconcertante. Dans « Frères Ennemis », il nous montre des êtres humains en proie à leurs démons, et livre quelques pages fantastiques, mise en valeurs avec éclat par des couleurs qui ont très bien vieilli, ce qui n’est pas toujours le cas. L’atmosphère sombre, la nostalgie et la douleur se marie au gré de dessins marquants, comme cette scène où la main d’en enfant se pose contre une vitre tachée par la pluie, sur laquelle repose la main d’un adulte désespéré. On pense également au flashback très violent d’un meurtre, où en une page, l’horreur d’une pathologie explose au visage du lecteur sans qu’il soit nécessaire d’ajouter un discours de 10 pages. La narration de Dematteis s’accorde en effet très bien au travail de Romita Jr, ce qui fait qu’en 88 pages, on assiste à un récit simple, mais prenant et touchant.



 Mais même si on imagine tout à fait la chanson de James Brown « A Men’s world » en fond de lecture, les femmes ont une place considérable dans le récit et permettent de remettre en perspective les motivations et les destins de chacun. Deux personnages féminins très distincts, qui illustrent à merveille les différences entre Ben Reilly et Kaine, deux caractères très différents, mais qui auront un impact aussi fort sur chaque personnage. « Frères ennemis » est un récit choral, qui accorde une place privilégiée à chacun de ses protagonistes, et c’est ce souci des personnages qui en fait un récit à lire. Pourtant, l’équipe n’oublie jamais qu’il s’agit d’un comic book, et l’action reste très présente. Le parti-pris est d’ailleurs de conserver un ton crédible et violent, qui tranche radicalement avec l’ambiance généralement familiale des aventures de l’homme araignée. La saga du clone reste globalement empreinte d’un ton plus sombre qu’à l’accoutumée, et d’une violence plus prononcée, mais même en tenant compte de cette atmosphère, « Frères Ennemis » reste d’une maturité surprenante. Les affrontements sont brutaux et très graphiques, le sang étant représenté comme une sorte de bouillie rougeâtre du plus bel effet. Les adversaires se frappent en plein visage, et essaient réellement de se blesser. Lorsque Kaine et Ben se battent, on sent une telle explosion de rage, que toute la complexité de leur relation peut se résumer à leur dernière rencontre dans le récit.

On peut estimer que « Frères Ennemis » n’est pas un arc indispensable de la saga du clone, pourtant, il apporte un éclairage passionnant à des personnages très intéressants. On ne peut pas nier que la saga controversée est riche en défauts. Mais elle avait le mérite de tenter de construire une histoire cohérente, en bouleversant le statu quo par un coup de théâtre bien amené. Les scènes fortes et très bien écrites y étaient nombreuses (l’une d’elle incluant un passage de « Peter Pan » est d’ailleurs réellement poignante), les nouveaux arrivants bénéficiaient d’une réelle personnalité, et la menace était impliquante. Le plus grand défaut de cette saga, c’est de ne pas être aller au bout de son concept, en se cachant derrière le retour risible d’un adversaire qu’on croyait mort.

 


samedi 15 janvier 2011

Versus l'ultime guerrier


Voilà un film qui aura fait parler de lui, et ce bien avant sa sortie. Pourtant, ni son réalisateur, Ryuhei Kitamura, ni son acteur principal Tak Sakaguchi, n’avaient encore eu l’occasion de s’illustrer au cinéma. Le premier n’avait réalisé que deux petits films avec des amis, et le second était, d’après la légende, un combattant de rue réputé. Cherchant des fonds pour réaliser son film ultime de zombies, Kitamura, connaissant la réputation de Tak, va à sa rencontre et lui propose d’exploiter ses talents devant la caméra. Vendu comme l’actionner ultime, « Versus » dispose d’arguments indéniables : un mélange de chambara (le film de sabres japonais) moderne, forêt infestée de zombies, gore outrancier, rythmé effréné…

Le lieu unique de l’action permet de ne pas gaspiller le budget, mais cette entourloupe, souvent utilisée dans les films indépendants, donne parfois un aspect fauché qui peut être pénible.  Ce n’est finalement pas le cas ici. L’énergie de l’équipe est aussi incroyable que communicative. La caméra, virevoltante, instille un dynamisme plein de style, qu’on pourrait qualifier de prétentieux, ou de clip de 2 heures, si le parti-pris avait été trop premier degré. L’ensemble se présente plutôt comme une farce réalisée entre potes, d’où la bonne humeur générale. L’humour est donc au rendez-vous et permet de contrebalancer des poses parfois un peu trop grandiloquentes. Il faut dire que l’influence de « Matrix » est assez évidente, l’une des scènes les plus célèbres du film étant même parodiée. Malgré cette maîtrise technique surprenante, qui change de la plupart des petits budgets réalisés à la va vite, il est clair que l’équipe ne dispose pas d’outils suffisantes pour livrer des plans de caméra vraiment esthétique, et les travellings sont parfois un peu grossiers.

Kitamura manifeste néanmoins une vraie vision, un réel sens de l’esthétique, que ses films à plus gros budgets confirmeront largement. Les scènes de flashback, tournés sous forme d’hommage aux chambaras classiques, sont à ce titre très réussies, et ne se contentent pas d’être des affrontements violents. Au contraire, à la manière des meilleurs combats au sabre, la montée en tension précédant le duel a une importance indéniable, et l’intensité est redoutable. La musique appuie efficacement cet effet, même si dans les autres scènes elle se révèle plus anecdotique. Elle est en tout cas toujours en phase avec ce qui se passe à l’écran.




Et il s’en passe des choses dans cette forêt. Ce qui démarre comme la fuite d’un fugitif, puis un film de gangsters, puis un film de zombies, va mélanger tous les genres, tout en privilégiant le surnaturel, essayant ainsi d’installer une histoire plus complexe qu’on ne pourrait le croire, pour aboutir à un récit de légende. Malgré tout, l’action n’est pas aussi présente qu’on pourrait le croire. En fait, il y a beaucoup d’échanges de coups de pied, de sabre, de feu…. Mais l’emphase pour des dialogues longs coupe le rythme et on se demande parfois si les protagonistes cesseront un jour de discuter. Ce parti-pris se justifie par la mise en place de l’histoire, mais les dialogues ne sont pas toujours d’une grande finesse, et leur apport au récit n’est pas toujours évident.

Comme la plupart des acteurs étaient loin d’être des professionnels, le résultat peine à convaincre de ce point de vue. Tak Sakaguchi est un parfait exemple : physique de tombeur, coupe de cheveux de rebelle, promptitude à porter des coups violents pour terrasser les adversaires, il est immédiatement moins à l’aise lorsqu’il s’agit de faire la conversation. Sa sobriété et son charisme lui permettent malgré tout de s’attirer la sympathie du spectateur, et même si ses films suivants ne feront pas de lui le nouveau Toshiro Mifune, sa présence à l’écran est évidente. Sa façon de poser dans un style très comic book est un peu excessive, mais fait partie de l’identité du personnage et reste sans commune mesure avec le concours de grimaces auquel se livrent la plupart des autres « acteurs ».
« Versus » n’a de toutes manières pas pour ambition de gagner des prix d’interprétation, et même si l’écriture ‘est inégale, on ne peut que saluer l’ambition d’en faire plus qu’un petit film de potes bricolés rapidement et écrit entre deux bouffées de cigarettes. L’argument principal reste la présence de zombie et la quantité d’action. Les combats au corps à corps s’inscrivent plus ou moins dans l’héritage du cinéma de Hong Kong, sans atteindre la précision effarante des meilleurs films de l’ex colonie. Les duels restent dynamiques et variés, et les passages de massacre de zombies, sans être aussi gores qu’on l’aurait voulu, restent jouissif. Les morts vivants restent malgré tout curieusement en retrait, à l’image du combat final, qui n’est autre qu’un duel au sabre. Ce passage est d’ailleurs déconcertant, alternant des plans à la chorégraphie très intense et d’autres où les acteurs semblent balancer leur sabre sans trop savoir quoi faire.

Globalement, et malgré des longueurs, « Versus » est un digne héritier du « Bad Taste » de Peter Jackson, drôle, décalé, et rythmé.

mardi 11 janvier 2011

Silent Hill - Dying Inside

Si la mode des adaptations de jeux vidéo au cinéma existe depuis quelques années déjà, ce n’est que récemment qu’on a assisté à une profusion de séries dérivées dans les comics et dans la littérature romanesque. Un univers comme celui de Silent Hill baigne cependant dans une mythologie suffisamment riche pour que dès 2004, IDW Publishing s’empare de la franchise. Spécialisée dans les adaptations, comme en témoignes les comics « Angel », « Star Trek », en passant pas « 24 » ou encore « Doctor Who »,  il s’agit d’une toute jeune compagnie, fondée en 1999.  On notera que l’un des titres créés pour IDW Publishing, « 30 Days Of Night » a été adapté au cinéma, dans un film mettant en vedette Josh Harnett, qu’on a pu apercevoir dans « Sin City ».  Désirant offrir aux fans une lecture de qualité, la maison d’édition va s’attacher les services du scénariste Scott Ciencin, à l’expérience déjà solide. Auteur versatile, Ciencin a écrit pour les univers de Godzilla, Buffy, Dinotopia, mais aussi divers comics tant pout Marvel que pour Dc. Autant dire que lorsqu’il écrit « Dying Inside », il est loin d’être un amateur, et la société semble satisfaite de son travail, puisqu’il écrira 5 des 7 comics dédiés à la fameuse ville (le 7ème étant actuellement en cours de publication). Afin d’illustrer le récit horrifique de Ciencin, IDW fait appel à l’un de ses dessinateurs réguliers, l’australien Ben Templesmith, qui a notamment travaillé sur « Hellspawn » et « 30 Days Of Night ».  Son style très particulier n’est pas sans rappeler le travail de Dave McKean, mélangeant esquisses  au crayon, avec des effets de couleurs et d’encrage surréalistes, qui donnent un cachet onirique à ses illustrations.  Avec une telle équipe, on peut attendre un résultat dans la continuité de l’univers créé dans la saga vidéo-ludique.


Et effectivement, dès les premières images, on comprend que l’expérience ne sera pas classique. L’aspect crayonné donné un côté irréel, le jeu sur les teintes sombres et sur les ombres est inquiétant, et on s’interroge sur les événements qui nous sont présentés. Il y a une recherche d’expression plutôt que de perfection dans les dessins, ce qui donne beaucoup de vie à l’ensemble. Elément intéressant, l’univers cauchemardesque de Silent Hill est remis en perspective par l’utilisation d’une caméra qui capture la folie de ce monde tordu, alors qu’habituellement, seuls ceux qui se rendent sur place ont l’opportunité de vivre une telle expérience. Le récit tient compte de ce qui a déjà été fait, comme le prouve la référence à l’ordre. On trouve d’ailleurs une cohérence dans la violence prononcée, le gore grand guignol, qui même s’il pourrait passer pour un effet de style facile, instille une sensation de malaise Silent Hillesque dans l’âme. Mais rapidement, la narration va être confuse et user de grosses ficelles. Le flashback pour révéler un élément sinistre du passé d’un protagoniste est un procédé trop classique pour réellement convaincra, d’autant plus que les personnages peinent à intéresser. Peut-être est-ce dû en partie à des dialogues qui cherchent trop à être « cool », accumulant les expressions ordurières, « Fuck » revenant par exemple tous les 10 mots. Ce parti-pris (très à la mode) devient rapidement agaçant et en décalage avec le propos. L’univers de « Silent Hill » est considéré plus cérébral que celui très série B de « Resident Evil » par exemple, hors, Ciencin adopte un ton trop série B et trop superficiel, qui nuit à la caractérisation des personnages. De même, si on peut accepter que les éléments soient surréalistes dans la ville de Silent Hill, il est plus difficile d’assister à des incohérences dans le comportement des protagonistes avant qu’ils n’y soient arrivés.

S’ajoute la prévisibilité de certaines situations, comme les confidences du psychiatre, qui n’aura de cesse, dans sa narration, de nous rappeler qu’il possède des secrets très sombres. Une évidence dans un tel contexte, qu’il n’était pas nécessaire de nous imposer avec tant d’insistance. Le premier épisode ne constitue pas une introduction brillante, mais parvient néanmoins à susciter suffisamment d’intérêt pour donner au lecteur l’envie de découvrir la suite. Car malgré des dialogues artificiels, Ciencin parvient, en grande partie grâce aux dessins de Templesmith, à créer une ambiance, et à inquiéter. La vue du fameux panneau « Welcome To Silent Hill » est une vision aussi familière que réjouissante, ce qui explique autant certaines déceptions que le fait qu’on soit peut être prêt à pardonner plus facilement certaines parti-pris regrettables.



La confusion de la narration va trouver un écho dans les dessins des créatures, dont on a du mal à distinguer la forme. Le style de Templesmith est aussi puissant que déstabilisant, et on ressent parfois une certaine frustration à ne pas avoir une image claire de ce qui se passe. D’autant plus que le deuxième épisode va confirmer les défauts du premier. Il y aura notamment une rupture de ton importante, qui constitue une surprise, qu’elle soit bonne ou mauvaise restant à l’appréciation de chaque lecteur. Ce twist est assez audacieux, et rappellera, dans une moindre mesure une œuvre culte du 7ème art…. Autre surprise, qui risque d’en déconcerter plus d’un : Templesmith n’assure plus la partie graphique à partir du 3ème épisode ! Aadi Salman est un jeune dessinateur originaire de Malaysie qui s’est fait une spécialité des histoires horrifiques, puisqu’on le retrouvera par la suite à dessiner la série « HackSlash ». La transition entre les deux artistes se fait finalement sans difficulté, leur style étant assez proche. Comme ce changement accompagne la nouvelle narration, on se laisse porter par une ambiance une fois de plus prenante, même si le découpage est un peu chaotique, rendant parfois la compréhension difficile. Mais plus que le visuel, c’est la narration qui perd le lecteur, partant dans toutes les directions sans parvenir à développer une ligne directrice réellement convaincante. Le scénariste va enchaîner les twists afin de maintenir le suspense, mais les personnages ne sont pas suffisamment approfondis pour être crédibles, et l’écriture reste trop superficielle.

Un constat qui ne va pas s’améliorer, le côté racoleur allant crescendo à mesure que l’on avance dans les épisodes. C’est bien simple, on en vient presque à se demander si on est devant un épisode spécial Halloween de la série South Park ! L’ajout incessant de nouveaux personnages, de nouveaux monstres, ou de nouveaux zombies illustre d’ailleurs bien la difficulté de Ciencin à raconter une véritable histoire, un comble pour une saga dont les scénarios recherchés constituent la marque de fabrique ! Même les détracteurs de « Silent Hill Homecoming » ne peuvent pas nier une recherche scénaristique qui dépasse de loin le simple copier/coller, notamment grâce à la profusion de fins qui apportent toute une vision unique du récit. « Dying Inside » ne repose sur pas grand-chose à part une ambiance graphique très sympathique et une cascade d’expressions ordurières. Comme les derniers épisodes vont être de plus en plus difficiles à suivre sur le plan visuel, c’est finalement l’ennui qui nous gagne quand la conclusion s’abat sur nous.

                                                

Non dénué de bonnes idées, tant sur le plan visuel que scénaristique, « Dying Inside » est une première expérience plus proche du brouillon que de l’œuvre aboutie, à cause d’un côté brouillon qui peut agacer. On a bien sûr plaisir à retourner dans la petite ville, mais il ne s’agit pas de l’incursion la plus réussie.

samedi 8 janvier 2011

Zombi 3

 Aujourd’hui, on aborde un poids lourd du film de morts vivants. Et pas parce que le film a su marquer de son empreinte indélébile le visage en putréfaction de nos créatures en décomposition préférées, mais parce qu’il est réalisé par un prince du genre, Bruno Mattei, l’homme qui ne tourna que des films bis ! Mais réduire la folie ambiante au seul maître du bis italien serait regrettable. D’abord confié à Lucio Fulci, maître de l’horreur italien à la carrière prestigieuse mais moins flatteuse que celle d’un Dario Argento, « Zombi «3 » a connu une mise en chantier aussi chaotique que les affrontements qu’il présente. Pour la sortie européenne de « Dawn of the Dead », en partie financé par Fulci justement, le film de Romero avait été retitré « Zombie ».  Lucio réalisa par la suite « Zombi 2 », ou « Zombies Flesh Eaters », ou « L’Enfer Des Zombies », qui n’entretient qu’un point commun avec le film américain, la présence de mort vivant. Malgré cette parenté discutable, « L’Enfer Des Zombies » est considéré comme un classique du cinéma gore transalpin, grâce à des maquillages d’un réalisme perturbant, mais aussi à quelques scènes inoubliables. Entre un duel zombie/requin et une ambiance glauque proche du cauchemar, Fulci avait réellement apposé sa marque au genre.


Pas étonnant qu’on ait demandé à Fulci de remettre le couvert après un tel résultat. Mais le tournage va vite prendre une allure aussi cauchemardesque que le climax de « Zombi 2 », les problèmes s’accumulant. Fulci, déjà malade au moment du tournage, va voir son état empirer à cause du climat des philippines, et au moment où il quittera le tournage, les producteurs jugeront que le résultat n’est pas suffisant, ou pas assez bon pour monter un film entier. Si l’on en croit les propos de Bruno Mattei, l’un des deux réalisateurs de substitution (le second étant le scénariste Claudio Fragasso, à qui l’on doit « Troll 2 » entre autres), Fulci aurait tourné environ 70 minutes, dont 50 minutes auraient été intégrées au montage final, raison pour laquelle il déclare considérer « Zombi 3 » comme un film de Lucio fulci, plutôt que comme une de ses propres réalisations. Pourtant, difficile de retrouver la patte du maître, à l’exception de quelques scènes baignant dans une atmosphère poisseuse, et mises en valeur par un travail approfondi sur la lumière et l’utilisation de la fumée. S’il est réellement responsable de plus de la moitié du métrage, on peut imaginer que son état de santé ne lui a pas permis de travailler avec autant de sérieux que dans d’autres circonstances, et il serait bien dommage de se rappeler de son travail en se basant sur ce divertissement.

En effet, le résultat est inégal et sans réelle ambition. A noter d’ailleurs la disparition du « e » de zombie dans le titre, suite à des problèmes d’exploitation de la licence pour d’obscures histoires de droits… ou de réputation peut-être ? Toujours est-il qu’on tient ici un nanar énergique plutôt qu’une merveille d’atmosphère à l’horreur prégnante. L’ennui ne sera malgré tout jamais présent, grâce à un succession de scènes d’action amusantes, et quelques idées bis qui fonctionnent bien, ou du moins qui font rire. Pour commencer, que ceux qui restent persuadés que les zombies sprinteurs sont apparus dans les années 2000 se jettent sur ce spécimen. On y trouve les morts vivants les plus agressifs du cinéma, qui collent des droites monumentales à leurs adversaires lors de combats à la chorégraphie totalement fantaisiste. C’est bien simple, on s’attend presque à voir la tête de nos héros se dévisser. Mais les morts-vivants (car il ne s’agit pas d’infectés même s’ils courent) ne sont pas les seuls à réclamer de la chair, même les animaux s’y mettent pour des séquences d’anthologie aux effets spéciaux à couper le souffle de quiconque n’aurait jamais allumé une télévision lors des cinquante dernières années. L’attaque des oiseaux zombies préfigure d’ailleurs le « Killing Birds », aussi connu sous le titre « Zombi 5 » de Claudio Lattanzi.



Le rythme est plutôt satisfaisant, l’intrigue démarre vite, et des coïncidences bienvenues comme la découverte d’une caisse remplie d’armes et de munitions dans un hôtel vont permettre à nos héros de dézinguer du zombie, chose que tout fan attend ardemment. Quand en plus, les héros en question sont l’objet d’une direction d’acteur sous amphétamines, il y a franchement de quoi se réjouir. Difficile en effet de prendre au sérieux l’intrigue, les dialogues, ou le jeu des interprètes. Mais après tout, une fois qu’on a accepté l’idée qu’on visionne un film dans l’esprit Mattei plutôt qu’un conte horrible à l’atmosphère Fulci, on peut tout à fait se laisser prendre au jeu, l’énergie dégagée étant communicative. Et même si les affrontements ne sont pas aussi nombreux qu’on aurait pu le croire, il y a bien plus d’action que dans beaucoup de petites productions mettant en scène des morts-vivants ou des infectés ces dernières années.

Tournage aux philippines oblige, les décors naturels sont très beaux, et les décors en intérieurs très peu nombreux. Les figurants sont également assez peu nombreux (certaines décédant d’ailleurs à plusieurs reprises), et on sent que le budget n’a pas été astronomique, ce qui n’empêche pas l’ami Mattei de nous coller des têtes de zombies qui volent en dehors des réfrigérateurs (Fulci revendique l’idée de cette scène, pourtant elle semble bien moins en phase avec son cinéma qu’avec celui plus délirant de Mattei). Le film ne regorge pas de trouvaillse, et difficile de prendre tant de bisseries au sérieux, mais le divertissement est là. « Zombi 3 » est un film fun, bourré d’action et de zombies énervés. Si vous n’êtes pas trop exigeant et n’êtes pas à la recherche d’une forme d’art aussi expérimentale que sophistiquée, vous trouverez largement votre compte !