mardi 18 janvier 2011

Spider-man - Frères ennemis

Quand un personnage de bande dessinée existe depuis plusieurs décennies, il est inévitable que certaines de ses aventures soient qualifiées de médiocres, voire de mauvaise, et ce indépendamment de la popularité dont bénéficie le héros. Récemment, Andy Diggle a eu à cœur d’offrir à Daredevil un run et un crossover des plus discutables, après plusieurs années d’épisodes très réussis. Spider-man, véritable mascotte de l’univers Marvel, a quant à lui eu droit à des récits très mauvais et à des coups de théâtre risibles à de nombreuses reprises au cours de la dernière décennie. Mais s’il y a bien une période de la vie du tisseur qu’on peut qualifier de controversée, c’est bien celle qu’on désigne comme « la saga du clone ». Tout a commencé en 1965, avec l’apparition du professeur Miles Warren, professeur de Peter Parker et Gwen Stacy. Amoureux de la jeune femme, le professeur jurera de se venger de Spider-Man, qu’il juge responsable de la mort de la belle blonde. Il crée donc l’identité du chacal, arborant un costume vert et multipliant les machinations destinées à piéger le héros. Mais c’est en ayant accès à des recherches sur le clonage qu’il va mettre au point son plan le plus diabolique. Après avoir mis au monde plusieurs clones ratés de Peter Parker, le Chacal va se trouver face à une copie parfaite, et va s’arranger pour que les deux hommes araignées s’affrontent. Au terme du duel, tout le monde pense le clone décédé. Jusqu’à ce que des années plus tard, toute une série de clone, en particulier le clone parfait qu’on pensait mort, ne revienne bouleverser la vie du héros…

A l’époque de la publication de frères ennemis, le doute sur l’identité du Peter Parker original plane encore largement, le Chacal multipliant mensonges et manipulations. Le récit se déroule 2 ans avant la saga du clone. On pourrait d’ailleurs presque l’appeler « Scarlet Spider Year One », tant il peut être considéré comme fondateur de la personnalité de celui qui se fait appeler Ben Reilly. Un nom choisi en hommage à ceux qui l’ont élevé, Ben et May Parker, Reilly étant le nom de jeune fille de cette dernière.



Comme dans « Batman Year One » de Frank Miller, l’intrigue est narrée en parallèle par le héros et un membre incorruptible des forces de l’ordre, confrontés à une corruption violente. On trouvera d’autres similitudes, l’ambiance étant proche, Mais J.M Dematteis parvient à éviter le plagiat. Pour commencer, les protagonistes narrent leurs péripéties au passé, avec une certaine nostalgie d’ailleurs. On a donc conscience très tôt que les périls qu’ils courent ne seront pas insurmontables. En tout cas pas pour eux. Mais surtout, leur rencontre, dont le déroulement aurait pu être simple, va être perturbée par l’intrusion d’un troisième narrateur, la pièce qu’on n’attendait pas, la Némésis ultime, le double malveillant : Kaine. Prototype plus ancien de clone, il possède également l’adn, et donc les pouvoirs de Peter Parker. Mais il souffre d’une dégénérescence accélérée, qui lui cause des crises de douleur atroces et remplit son corps et son visage de cicatrices. De tous les protagonistes de la saga du clone, Kaine est l’un des plus troubles, et l’un des plus intéressants. Le tumulte d’émotions qui rend son quotidien si difficile le rend imprévisible, mais permet aussi de s’attacher à lui. On est loin de l’antagoniste manichéen dont les motivations se résumeraient à piller des banques et dominer le monde. On ne peut pas non plus limiter sa quête à une simple vengeance. Kaine n’est ni un Peter Parker 3, ni un fou criminel. Bien que ne correspondant pas au statut de héros, ni même véritablement d’anti-héros, il lui arrive de se comporter héroïquement, et il manifeste un véritable sens moral, bien que ses actes puissent être immoraux. Dans « Frères ennemis », sa haine pour Ben Reilly est compréhensible, la rage qu’il ressent face à l’empathie d’un être qui lui est en tout point supérieur (pas de troubles physiques, pas de crises de douleurs, un sens du devoir et un héroïsme admirables) serait presque légitime.

Le vrai sujet de « Frères Ennemis » n’est pas le combat de quelques personnes contre un système gangréné par la violence, l’horreur, la peur et la corruption. Ces thèmes ne constituent que le décor d’une quête d’identité. Comment exister quand on est le clone d’un héros ? Comment être soi quand on vit avec les souvenirs d’un autre ? Comment accepter d’être une copie raté et de voir réussir les autres ? Comment être un flic intègre quand il y a plus de déboires que de compensations à être honnête ? L’histoire de ces 3 hommes est touchante, parce qu’elle est crédible. On ne peut pas parler de réalisme quand on admire les exploits d’homme capables de bondir de toits en toits, d’escalader des murs ou de soulever des voitures. On peut par contre être immergé dans leur vie, dans leurs tourments, qui malgré le caractère fantaisiste de l’univers dans lequel ils évoluent sont universels. Qui n’a pas connu la frustration d’être le second, de ne pas savoir comment se construire, de voir ses convictions les plus profondes remises en question par des événements injustes ? Et c’est bien là la force de Dematteis, qui rend les situations vraies. Il trouve d’ailleurs un complice excellent en la personne de John Romita Jr. Habitué à mettre en dessins les aventures de l’homme araignée (tradition qui se transmet de père en fils chez les Romita), l’artiste était à l’époque dans la phase la plus intéressante de son travail. Son style a beaucoup évolué au fil des ans, mais on peut trouver son travail actuel trop cartoon, les visages étant par exemple beaucoup moins détaillés. Dans les années 90, Romita Jr dessinait des carrures parfois excessives à ses héros, mais leur donnait un visage bien plus humain, fourmillant de détails qui exprimaient la peur, la tristesse ou la joie avec une efficacité déconcertante. Dans « Frères Ennemis », il nous montre des êtres humains en proie à leurs démons, et livre quelques pages fantastiques, mise en valeurs avec éclat par des couleurs qui ont très bien vieilli, ce qui n’est pas toujours le cas. L’atmosphère sombre, la nostalgie et la douleur se marie au gré de dessins marquants, comme cette scène où la main d’en enfant se pose contre une vitre tachée par la pluie, sur laquelle repose la main d’un adulte désespéré. On pense également au flashback très violent d’un meurtre, où en une page, l’horreur d’une pathologie explose au visage du lecteur sans qu’il soit nécessaire d’ajouter un discours de 10 pages. La narration de Dematteis s’accorde en effet très bien au travail de Romita Jr, ce qui fait qu’en 88 pages, on assiste à un récit simple, mais prenant et touchant.



 Mais même si on imagine tout à fait la chanson de James Brown « A Men’s world » en fond de lecture, les femmes ont une place considérable dans le récit et permettent de remettre en perspective les motivations et les destins de chacun. Deux personnages féminins très distincts, qui illustrent à merveille les différences entre Ben Reilly et Kaine, deux caractères très différents, mais qui auront un impact aussi fort sur chaque personnage. « Frères ennemis » est un récit choral, qui accorde une place privilégiée à chacun de ses protagonistes, et c’est ce souci des personnages qui en fait un récit à lire. Pourtant, l’équipe n’oublie jamais qu’il s’agit d’un comic book, et l’action reste très présente. Le parti-pris est d’ailleurs de conserver un ton crédible et violent, qui tranche radicalement avec l’ambiance généralement familiale des aventures de l’homme araignée. La saga du clone reste globalement empreinte d’un ton plus sombre qu’à l’accoutumée, et d’une violence plus prononcée, mais même en tenant compte de cette atmosphère, « Frères Ennemis » reste d’une maturité surprenante. Les affrontements sont brutaux et très graphiques, le sang étant représenté comme une sorte de bouillie rougeâtre du plus bel effet. Les adversaires se frappent en plein visage, et essaient réellement de se blesser. Lorsque Kaine et Ben se battent, on sent une telle explosion de rage, que toute la complexité de leur relation peut se résumer à leur dernière rencontre dans le récit.

On peut estimer que « Frères Ennemis » n’est pas un arc indispensable de la saga du clone, pourtant, il apporte un éclairage passionnant à des personnages très intéressants. On ne peut pas nier que la saga controversée est riche en défauts. Mais elle avait le mérite de tenter de construire une histoire cohérente, en bouleversant le statu quo par un coup de théâtre bien amené. Les scènes fortes et très bien écrites y étaient nombreuses (l’une d’elle incluant un passage de « Peter Pan » est d’ailleurs réellement poignante), les nouveaux arrivants bénéficiaient d’une réelle personnalité, et la menace était impliquante. Le plus grand défaut de cette saga, c’est de ne pas être aller au bout de son concept, en se cachant derrière le retour risible d’un adversaire qu’on croyait mort.

 


2 commentaires:

  1. Pour ma part, cet arc est le seul que j'ai lu de la saga du clône. Par contre il ne m'a pas marqué plus que ça car j'avoue que je m'en souviens très peu surment à cause des persos que je découvrais pour la première fois mais ton excellent article me donne envie de le relire.
    Mise à part ça la relation Ben Reilly/Kaine me fait penser un peu à la fois où Cable découvre pour la première fois le visage de Stryfe (ce dernier étant la version améliorée de Nathan Summers) qui plus est, événement également dessiné par Romita Jr.

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  2. Je pense que c'est effectivement une histoire plus intéressante si on connait un peu les personnages. Dans tous les cas, elle mérite vraiment d'être relue, car avec le recul, on prend davantage conscience de sa richesse!

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