Amazing Grace. Extrêmement connue, cette chanson a été interprétée par d’innombrables artistes, dont Elvis Presley en personne. On l’entend également dans beaucoup de films ou de séries. Bruce Campbell au l’occasion de se la faire chanter dans sa série Brisco County Jr, et sa mélodie a été jouée par les cornemuses de Braveheart. Ce qui n’est pas un hasard, car si les paroles ont été écrites en 1779, l’air existait déjà dans le folklore écossais. Considérée comme l’un des hymnes chrétiens les plus populaires, elle peut être appréciée indépendamment de l’appartenance religieuse, car il y est question de spiritualité avant tout. On pourra s’étonner de la trouver dans la bande originale du jeu Deadly Premonition, mais elle est tout à fait appropriée. Car à l’heure où l’industrie du jeu vidéo est monumentale, il devient rare de trouver une œuvre frappée par la grâce. A son annonce, Rainy woods (nom sous lequel on le présentait alors) était défini comme un survival horror, ce genre si particulier symbolisé par des sagas comme Resident Evil ou Silent Hill. Zombies aux corps tordus, geysers de sang et ambiance rurale étaient alors les aliments d’un menu peu attirant. Car Deadly Premonition n’a rien d’un jeu ambitieux lorsqu’on observe sa parure. Alors que la majorité des productions actuelles s’affrontent à coups de graphismes toujours plus élaborés et réaliste, le jeu d’Access Game donne plutôt l’impression d’être conçu pour l’ancienne génération de consoles (ce qui était d’ailleurs le cas à l’origine). Mais les concepteurs ont conscience du rendu de leur produit, immédiatement annoncé dans la gamme budget. Depuis sa sortie, le survival horror rural à petit budget a fait couler bien plus d’encre que ce qu’on aurait pu croire. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il déchaîne les passions. Les avis sont très tranchés, puisqu’il y a le camp des adorateurs et celui des détracteurs. Parmi les défenseurs de l’œuvre, un certain nombre de critiques parle d’un jeu tellement mauvais qu’il en devient excellent. Une sorte de nanar vidéoludique où le ratage devient un art en quelque sorte. Et effectivement, il est très facile de s’arrêter aux défauts évidents d’un jeu qui semble en retard de quelques années sur presque tous les plans. Outre le visuel daté, la jouabilité est rigide, et l’aspect sonore risque de ne pas être du goût de tout le monde. Les musiques, très particulières, ont en effet tendance à tourner en boucle, par moment de façon presque aléatoire, et les bruitages ressemblent à ceux du premier Silent Hill.
Une telle description repousserait beaucoup de joueurs, mais certains ont au contraire été interpellés par ce tableau atypique. Twin Peaks, la fameuse série télévisée initiée par David Lynch et Marc Frost, est une influence à la mode ces derniers temps, et les différentes images du jeu laissaient présager une ambiance proche, alternant quotidien champêtre et peintures surréalistes. Alan Wake avait tenté un mélange similaire pour un résultat bien plus policé. Plastiquement, l’œuvre de Remedy était irréprochable, et ses mécanismes de jeu étaient particulièrement efficaces. Mais sa grande linéarité et ses personnages artificiels ont diminué son impact. Le manque d’interactions avec les habitants, l’impossibilité d’évoluer librement en ville pour s’imprégner de cette atmosphère peu exploitée dans les jeux vidéos manquaient. Deadly Premonition fait le choix de ne pas imposer son rythme au joueur. Après un prologue qui permet de se familiariser avec l’ambiance surnaturelle du titre et sa jouabilité rigide, mais pas insurmontable, on est rapidement confronté à l’un des éléments importants du jeu : sa liberté. Comme dans Dead Rising, l’horloge tourne, imposant de respecter certains horaires pour déclencher certains événements. Ce parti-pris favorise le sentiment de participer à une enquête le jour le jour, sans pour autant limiter les possibilités. Un rendez-vous manqué n’est ainsi ni un game over, ni la fin de l’histoire. Le point de rencontre sera juste accessible le lendemain. A noter également qu’il n’est pas nécessaire d’être à un endroit donné à une heure précise, mais qu’on nous propose un créneau horaire qui permet de visiter les lieux tranquillement, sans rater les rencontres. Car avant d’être une enquête criminelle, Deadly Premonition est la rencontre entre un citadin de la grande ville, l’agent du FBI Francis York Morgan, et une petite ville de campagne où tout le monde se connaît.
Le contexte est donc très proche de Twin Peaks, et l’ambiance familière presque identique. Il suffit de se rendre dans le diner du coin pour comprendre que les habitants ont tous une personnalité à part, et que leur parler est l’un des plaisirs que réserve le jeu. En vérité, tous les habitants ne sont pas « vivants », puisqu’il n’y en a qu’une trentaine avec qui on peut interagir. Ces dialogues sont non seulement très vivants, et souvent drôles, mais ils permettent également de se lancer dans des quêtes annexes, dont l’accomplissement octroie des bonus parfois importants. Et si certaines tâches sont des plus triviales, elles apportent beaucoup au contexte et favorisent l’immersion. On a réellement l’impression de commencer à connaître ces gens, ce qui rend l’enquête bien plus passionnant. On sait que l’un d’eux est le meurtrier, mais qui, pourquoi ? Le fait de les connaître permet de s’interroger sur leurs motivations, sur leurs liens avec la victime, ce qui n’aurait pas été possible dans un contexte plus linéaire. Découvrir la ville librement, en s’y promenant à notre gré permet de s’approprier les lieux, de les découvrir progressivement en ayant la sensation d’y vivre, plutôt que de subir les couloirs d’une forêt, comme dans d’autres jeux moins audacieux. Au-delà des quelques activités qu’offre la région (pêche, cueillette, jeu de fléchettes), dont l’intérêt reste moindre, le fait de se glisser sous la fenêtre d’une maison pour espionner ses habitants a un côté voyeur tout à fait réjouissant, qui s’inscrit dans cette volonté de nous immerger. Car bien loin d’être un survival horror, ou un gta-like, Deadly Premonition est un mélange de genres, une expérience à part entière, qui se vit intensément. Qu’il s’agisse de suivre des suspects, de récolter des indices, d’affronter des morts-vivants à mi-chemin entre le zombie et le fantôme, la diversité est au rendez-vous. Ce parti-pris procure un rythme très agréable au jeu, qui n’est jamais prévisible, sans pour autant que le déroulement paraisse arbitraire. Composé d’un prologue et de 6 épisodes, plus un épilogue, Deadly Premonition n’hésite pas à présenter plusieurs chapitres sans que le joueur soit amené à affronter le moindre adversaire.
Les rencontres inamicales se déroulent dans une version alternative de lieux connus, à la manière d’un silent Hill, sans que le design soit aussi radicalement bouleversé. On en vient d’ailleurs rapidement à s’interroger autour de la fiabilité de la narration, puisque notre personnage semble être le seul à croiser les goules. Leur apparence évoque immanquablement le zombie classique, popularisé par Romero et Fulci, tout comme l’allure de leurs déplacements. Mais ils possèdent quelques aptitudes qui rappellent davantage des revenants. De même, leurs attaques peuvent surprendre, comme ces femmes mortes-vivants qui se déplacent à 4 pattes le dos tordu, avant d’enfoncer leur bras dans la bouche de York. De ce point de vue, l’équipe ne s’est pas donné beaucoup de travail, il n’y a que 4 ou 5 modèles d’ennemis, et leur stratégie est toujours la même. Pour se défendre, dispose d’une panoplie d’armes partagée entre objets de corps à corps, efficaces, mais destructibles, et armes à feu peu convaincantes mais qui permettent de conserver de la distance. La visée est presque identique à celle de Resident Evil 4, on ne peut d’ailleurs pas avancer en tirant. Mais il est bien plus difficile de viser, à cause d’un curseur qui a tendance à se déplacer fiévreusement. Cet aspect n’est pas insurmontable, il suffit d’un petit temps d’adaptation, mais il fait des donjons une épreuve moins agréable qu’elle n’aurait pu l’être. On en vient rapidement à ne plus attendre ces rencontres, ce qui ne gâche pas le plaisir de jeu, puisqu’elles n’en constituent absolument pas le cœur. Si la mise en scène et l’aspect sonore confère une ambiance sombre à ces moments, le nombre conséquent de munitions et de trousses de soins ne donne pas une réelle sensation de danger. Pourtant l’angoisse n’est pas totalement absente. Le fameux tueur à l’imperméable qu’on poursuit est en effet plutôt inquiétant, et sa force semble démesurée. On aura donc l’occasion de faire les frais de sa puissance. D’ailleurs, plutôt que de le combattre, on prendra la fuite, dans des séquences en split-screen réellement stressantes, grâce à une mise en scène efficace et une jouabilité convaincante. Il faut secouer le stick comme si notre vie en dépendait pour courir, ce qui contribue bien sûr à nous immerger dans ces scènes d’action. N’oublions pas des séquences de cache cache éprouvantes, au cours desquelles il faut veiller à s’engouffrer dans la cachette la moins évidente pour ne pas finir empalé !
Mais au-delà de ses séquences horrifiques et de son aspect gta/shenmue, ce sont ses personnages qui font de Deadly Premonition une œuvre à part. Le héros, Francis York Morgan, est tout simplement fascinant. Et pas seulement à cause de son besoin de se confier à son ami imaginaire Zach. Son côté décalé n’est bien sûr pas sans rappeler l’agent Dale Cooper interprété par Kyle Maclachlan dans Twin Peaks. Mais York n’est pas une pale copie. Au contraire, il possède une identité très forte, et on se prend rapidement à sourire en assistant à son rituel de présentation, inévitable lorsqu’il rencontre un nouvel habitant. On a également plaisir à le voir citer des films de série B classiques des années 80, mais c’est surtout son côté décontracté en toute circonstance qui le rend si attachant. Sa propension à allumer une cigarette même dans les scènes les plus dramatiques lui donne une allure incroyablement cool. On a d’ailleurs constamment l’impression que tout n’est qu’un jeu pour lui, et qu’il connaît des éléments qui sont encore flous pour nous. Mais ce vernis, de personnage très charismatique n’en fait pas un être lisse ou une caricature. On va apprendre à le connaître au fil des heures, à le comprendre, et à souhaiter passer plus de temps en sa compagnie. Les autres protagonistes, sont disposer d’une telle richesse, ne sont pas en reste, et sont écrits avec nuance. Et c’est bien l’importance de ces rencontres qui en fait un jeu si particulier, et si sincère. Au-delà de ce qu’on peut penser de l’intrigue, il y a une réelle volonté d’immerger le joueur dans une histoire tour à tour drôle, surprenante, touchante, belle, puis toutes ces émotions à la fois.
A l’image de la ville qu’on découvre, Greenvale, Deadly Premonition est un jeu qui a une âme, ce qui suffit largement à dépasser ses défauts pour se lancer dans une expérience riche et prenante de bout en bout pour un voyage magique !
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