vendredi 18 mars 2011

L'emprise des ténèbres - The serpent and the rainbow

 Avec un titre comme Magic Island, difficile d’imaginer que l’ouvrage d’anthropologie de William Seabrook publié en 1923 populariserait le mythe du zombie. Le concept fut rapidement adapté en film, le White Zombie de Victor Halperin ouvrant la voie au genre. Ce n’est que bien plus tard que les morts-vivants devinrent amateurs de viande fraiche.  Après la consécration de Georges A. Romero avec sa série de films sur les zombies, débutée par son fameux Night Of The Living Dead, le public a davantage connu des explications scientifiques aux épidémies de goules, et l’angle vaudou a été oublié. La sortie en 1986 d’un nouvel ouvrage d’anthropologie, de la plume de Wade Davis, permet de remettre les rituels vaudous au goût du jour. Pensant que son ouvrage sera adapté par le réalisateur Peter Weir et interprété par Mel Gibson, Davis n’hésite pas à en vendre les droits. Mais pour dépeindre cette atmosphère de cauchemar, peut-on imaginer metteur en scène plus compétent que Wes Craven, initiateur de la série des Nightmare On Elm street dont les images ont hanté les rêves de millions de spectateur ? Craven est déjà un artiste confirmé à ce moment de sa carrière, grâce à des œuvres poisseuses et perturbantes, peuplées de personnages qu’il vaut mieux croiser derrière un écran que dans la rue.  Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, le parti-pris de The Serpent and The Rainbow est plutôt réaliste et s’inscrit davantage dans l’ambiance réaliste et sordide de La Dernière Maison Sur La Gauche. Car en plus d’être l’adaptation d’un ouvrage d’anthropologie, le film de Wes Craven est également « adapté de faits réels ». Une déclaration qui n’a cependant que peu de sens, puisque cela signifie généralement que l’idée générale est vaguement inspirée d’un fait réel. Quelque soit la véracité de l’histoire, le réalisateur parvient tout au long du métrage à conserver une atmosphère crédible, tout en adoptant un ton cauchemardesque qui frappe dès le générique s’affichant sur un fond rouge sang, au rythme d’une musique qui illustre efficacement les rituels de l’île tout en créant une atmosphère pesante et angoissante.


Les décors naturels favorisent largement l’immersion, contribuant à augmenter l’impact de ce climat inquiétant. Le traitement est plus proche du thriller surnaturel, un peu à la manière du Angel Heart d’Alan Parker, qui abordait également les rituels vaudous, que d’un film de zombies des années 80, dans lequel les morts-vivants sont innombrables et avancent inlassablement vers de pauvres victimes. Bill Pullman interprète un anthropologue revenant d’un périple en Amazonie qu’on charge d’enquêter sur un mystérieux phénomène de zombification en Haïti. Acteur au jeu assez particulier, s’étant illustré dans les films de la famille Lynch, Pullman n’a pas vraiment un physique de super-héros, ce qui rend sa prestation plutôt crédible. Toujours surpris, toujours dépassé, il découvre comme le spectateur un mode de vie qui le dépasse malgré son métier, ce qui permet de s’identifier à lui dans une certaine mesure. Son périple se présente comme une véritable enquête de film noir, et malgré sa rencontre avec des alliés, on a bien souvent l’impression qu’il est seul contre tous. La corruption est au centre du récit, un choix scénaristique pertinent rappelant l’ambiance paranoïaque de Une Saison Blanche et Sèche d’André Brink, se déroulant à la toute fin de l’apartheid. Mais l’ajout récurrent de séquences de cauchemar vient nous rappeler que le thème du récit est bien surnaturel, ou du moins présenté comme tel par certains personnages. Ces scènes sont assez brèves, mais les effets spéciaux sont réussis et convaincants. Qu’il s’agisse d’un cercueil se remplissant de sang ou d’une mariée zombie naine s’arrachant le visage, on se laisse facilement convaincre par les maquillages. Certaines figures bien connues, comme le fameux Baron Samedi, font également leur apparition. Le montage est particulièrement réussi, puisqu’il retranscrit fidèlement la perte de repères du héros.




L’ambivalence voulu du ton se retrouve également dans la façon d’appréhender l’horreur. Plus que le sujet et les cauchemars, ce sont finalement les confrontations avec les hommes, ceux qui vivent et qui respirent, qui resteront en mémoire par leur violence et leur traitement inhumain. The Serpent and The Rainbow est un périple aussi éprouvant pour son protagoniste que pour le spectateur, qui attend impatiemment les révélations tout en s’inquiétant pour cet anthropologiste un peu arrogant et poltron. Pullman est très convaincant lorsqu’il joue sur son côté petit américain frimeur qui va montrer aux autochtones comment se comporte un véritable homme. A l’image du ton du récit, il se montre double, oscillant constamment entre le désir de mener son enquête à son terme et sa peur des représailles. Cette dualité se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène de Wes Craven. La scène d’introduction est composée d’amples travellings très précis, qui mettent en relief la masse de la foule, avant de dévoiler l’horreur d’un bidonville. Le réalisateur emploiera ce procédé à chaque fois qu’un grand nombre de figurants est à l’écran, et afin de mettre en valeur les paysages naturels. Pour les scènes en intérieur, il privilégie par contre les caméras portées à l’épaule, donnant un côté intimiste aux découvertes qui se font toujours à l’abri des regards. Il emploiera le même procédé lors de certaines scènes d’action, afin d’accentuer leur intensité, tout en conservant une lisibilité permanente. Craven parvient à tirer le meilleur parti de ses décors, tant pour exprimer le climat de tension que pour plonger dans l’atmosphère exotique. Le rythme reste constant, grâce au renouvellement de l’intrigue, ce qui permet de se laisser surprendre. Les amateurs de zombies seront sans doute déçus de ne les voir que trop rarement, mais Craven ne se limite pas à des scènes de cauchemar pour perturber le spectateur. Les rites vaudous sont présentés sans complaisance, et comptent leur lot de démembrements. On retiendra également une scène de possession aussi subite que stressante. La peur de la mort est aussi constante que vive, et le fameux Bokor, sorcier ayant le contrôle des morts vivants selon la tradition vaudou est un adversaire véritablement démoniaque. Non seulement sa menace est tangible, mais elle semble inévitable, inéluctable, comme si le héros avait signé son arrêt de mort rien qu’en se rendant sur place. Car malgré l’approche réaliste et les indices laissant interpréter certains événements, Craven ne donne pas de réponse précise sur les raisons qui poussent les gens à sortir de leur tombe. Du moins laisse-t-il planer le doute dans une certaine mesure.


L’inscription du récit dans un contexte politique réaliste est intéressante, en particulier parce qu’elle remet en perspective les exactions des forces de l’ordre, par contre elle semble trop tardive. Elle n’aura d’ailleurs finalement que peu d’incidence sur le récit, dont les enjeux deviennent de plus en plus personnels, conférant au climax une implication émotionnelle bienvenue. Cet ultime coup d’éclat est particulièrement réussi, exploitant enfin les zombies avec des effets spéciaux jouissifs sans être particulièrement gores. La violence, omniprésente tout au long de l’histoire, atteint néanmoins un degré d’intensité bien plus important lors d’une confrontation physique brutale et vicieuse. Visuellement, malgré une photographie qu’on ne trouverait pas aujourd’hui, The Serpent And The Rainbow a très bien vieilli. En termes de montage et de réalisation, il constitue une œuvre de transition très intéressante, à mi-chemin entre une vision assez classique du film d’horreur, et un montage plus dynamique et plus moderne. L’utilisation du vaudou est bien intégrée à l’histoire et permet au réalisateur de laisser aller son imagination pour des scènes cauchemardesques vraiment marquantes. En revenant ainsi à la base du mythe du zombie, Wes Craven réalise une œuvre poisseuse et prenante, et tout en s’éloignant du traitement adopté par Georges A. Romero, il présente un message similaire en nous rappelant que c’est bien l’homme le pire des monstres. La tension permanente, la paranoïa, l’enquête et la violence donnent un ton unique, pour une œuvre audacieuse. Si The Serpent And The Rainbow n’est pas un film exploitant beaucoup ses zombies, il reste une excellente histoire sur le thème de la zombification. Malheureusement, le courage affiché jusque-là se perd dans une fin faite de concessions au public et aux studios. L’horreur lancinante et terrifiante cède la place à une violence qui se veut plus spectaculaire, et la présence d’un Happy End tranche trop violemment avec le côté inéluctable de la mort, tel qu’il a été présenté dès le début.

Un film de zombies différent, à voir malgré tout, pour son ambiance, ses effets spéciaux, et son traitement surprenant, qui renoue avec l’origine du mythe du zombie.

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