lundi 24 janvier 2011

Identity Crisis



Brad Meltzer est l’un de ces scénaristes qui se sont fait connaître par leurs travaux de romanciers avant rédiger des scénarios de comics. Après s’être illustré dans des nouvelles, il écrit ainsi les aventures de Green Arrow, succédant ainsi à Kevin Smith, et ce de 2002 à 2004. Il n’abandonnera pas le personnage, puisque l’archer masqué est le narrateur central de Identity Crisis. La transition du roman vers le comics est intéressante, les deux formats ne permettant pas les mêmes narrations. Et bien que le roman soit considéré comme un média plus noble, il n’est pas évident qu’un romancier fournisse un meilleur travail qu’un scénariste de bande dessinée lorsqu’il s’agit de travailler en collaboration avec un dessinateur. Pourtant, le mélange n’est pas impossible. De ce point de vue, il est intéressant de comparer le travail de Meltzer à celui d’Alan Moore. Bien que le scénariste de Watchmen ait débuté dans les comics et ne se soit essayé que tardivement à l’écriture en prose, il reste l’un des écrivains les plus littéraires de l’industrie. Et pour cause, ses sources d’inspiration sont avant tout des autres de roman, dont William S. Burroughs, à qui l’on doit le Festin Nu, qui fut adapté librement par David Cronenberg. Cette comparaison n’est bien sûr pas innocente, car Identity Crisis s’inspire dans l’héritage direct de Watchmen, dont il constitue en quelque sorte le pendant des années 2000. Cette œuvre est considérée comme l’un des piliers de l’image moderne du super-héros, plus sombre et nuancée. Et si depuis 1986, certains artistes ont confondu maturité et violence gratuite, de nombreuses histoires ont fait l’objet d’interrogations morales qui placent le monde des comics dans un contexte crédible, à défaut d’être vraiment réaliste. A ce titre, comme dans Civil War de Marvel, le danger que représente la lutte contre la criminalité est étudié. L’importance du masque, comme rempart entre les criminels et l’identité civile est au centre du récit. Or, si les héros conservent la plupart du temps une double identité, ce n’est pas tant pour leur propre sécurité que celle de leur famille. Pourtant, comme chez Marvel, le parallèle avec les représentants de l’ordre officiels n’est pas évoqué, alors qu’il aurait constitué un apport tout à fait intéressant pour faire écho aux thématiques de l’histoire. Mais ce parti-pris est tout à fait en adéquation avec le traitement qu’applique Meltzer à son propos clairement intimiste.


Le chapitre d’ouverture donne d’ailleurs immédiatement le ton, au gré de la narration d’Elongated Man, qui remet immédiatement en perspective ces risques bien réels. Le scénariste en profite d’ailleurs pour faire référence à sa carrière de romancier, tout en discutant du statut de rôle principal de façon amusante. Il y an effet un côté anecdotique très immersif dans les discutions qu’entretiennent les personnages entre eux. Et c’est cette attention aux détails qui fait qu’au-delà du spectaculaire de certaines situations, ce sont les liens qui existent entre les protagonistes qui permettent à Identity Crisis de se démarquer du reste de la production. Qu’il s’agisse de se moquer d’un héros vieillissant ou de montrer une scène du quotidien entre l’un d’eux et ses parents, le scénariste n’oublie jamais que c’est l’humain qui intéresse le lecteur. Sauver des vies et s’illustrer dans des actions éclats est le quotidien des super-héros, mais le voir au moment où ils sont le plus faible, face à des situations que chacun de nous est amené à connaître permet de s’identifier bien plus à eux, et donc d’être touché par leur destin. Mais l’une des différences entre un roman et comics, comme évoqué précédemment, est de permettre au scénariste de s’appuyer sur le dessinateur. Et Rag Morales est le comparse idéal pour cette histoire. Son style donne un véritable sentiment de familiarité, comme si on contemplait de vieux amis, fatigués par les événements. Son travail alterne parfaitement le côté iconique des grandes figures telles que Superman, Wonder-Woman ou Batman, et les passages plus tragiques, qui nous rappellent qu’un héros n’est rien d’autre qu’un être humain qui essaie de faire la différence dans un monde violent. Car une histoire excellente avec de mauvais dessins peut rapidement devenir un calvaire à lire. Mais la complémentarité entre le sens du détail du scénariste, et la capacité à dépeindre le quotidien dans tout ce qu’il a de plus touchant du dessinateur assure un équilibre réussi.


Un exercice d’autant plus difficile que le récit alterne les points de vue et multiplie les situations afin de créer des parallèles entre les personnages. On pourrait y voir une volonté mercantile de présenter le plus de héros possibles, certains d’entre eux n’ayant à priori qu’une importance modérée dans le déroulement de l’intrigue. Pourtant, ces différentes scènes fonctionnent en écho, renforçant le sentiment que cette communauté est plus une grande famille que des regroupements de personnages hauts en couleurs. On pourrait également craindre que cet enchaînement de séquence finisse par rendre Identity Crisis indigeste, ou que l’émotion devienne trop forcée. Mais non, Meltzer a une véritable connaissance des personnages, et il parvient à rendre leurs réactions naturelles, en s’appuyant davantage sur des non dits, des gestes subtils, pour exprimer bien plus qu’en assénant de grands discours. A ce titre, les retrouvailles entre Oliver Queen et Hal Jordan parviennent à recréer l’enthousiasme de leurs aventures en duo en à peine 2 pages, grâce à un choix de mots aussi simple qu’efficace. L’équipe parvient même à mettre en scène quelques passages inoubliables, qui marqueront les lecteurs pendant longtemps. Les épreuves traversées par Sue Dibny justifient à elles-seules qu’on qualifie le récit de mature, et malgré leur contenu, il n’y a pas de complaisance. Juste une brutalité terrifiante et crédible. La peur, la perte, la douleur, la colère, des émotions que tout le monde connaît, et qui trouvent parfaitement leur place ici. Or, malgré ce tumulte d’émotions, l’intrigue n’est jamais chaotique, grâce à un travail important sur la narration. Tout en multipliant les points de vue, Meltzer fait ainsi de Green Arrow son principal conteur. Un choix qui fonctionne tout à fait car il comprend ce personnage et le rend vivant. De plus, l’archer est un compromis pertinent entre les héros les plus connus et les seconds couteaux moins familiers pour le grand public. Ce qui permet une liberté de ton appréciable, mais aussi une nuance qui aurait peut être été moins évidente si Superman avait été le narrateur.

Green Arrow va ainsi servir de repère au lecteur, lui rappelant à la fois ce qui fait un héros, mais aussi pourquoi les récits actuels sont plus violents et plus nuancés que ceux de l’âge d’or. De plus, le héros détaille bien les émotions sans pour autant trop en rajouter ou verser dans le sirupeux. Le héros a également une place intéressante dans les différents cercles de justiciers, ce qui permet d’approfondir de façon duelle ses relations avec ses alliés. Difficile d’imaginer ses disputes avec Wally West, successeur de Barry Allen sous le costume de Flash, exploitées avec autant d’efficacité avec un autre personnage. Or, non seulement cette relation est au centre de l’intrigue et sert de catalyseur aux questionnements moraux, mais elle permet de mettre en parallèle les personnalités des deux Flash. Enfin, au milieu de ce climat de paranoïa, où chaque héros en vient à craindre pour sa famille plus que jamais, retrouver la voix d’Oliver Queen à intervalles réguliers a quelque chose de rassurant. Un sentiment peut-être illusoire, car le lecteur comprend vite qu’il n’est, comme les personnages, à l’abri d’aucune surprise. Sans pour autant que les coups de théâtre virent au grand guignol. En sept épisodes, Meltzer parvient donc à faire avancer son intrigue, tout en s’appuyant sur des personnages solides, et en inscrivant son récit dans la continuité. Pour autant, il n’oublie pas l’action, et même si elle n’est pas le point central, on a droit à quelques combats extrêmement bien chorégraphiés. La rencontre avec Deathstroke est particulièrement réussie, mettant en valeur tant les talents de stratège du mercenaire que le travail d’équipe des héros qui ne se contentent pas de leurs pouvoirs pour se battre. Cet adversaire est exploité habilement comme le pendant négatif de Batman, réputé pour se préparer à toute éventualité. Mais il n’est pas le seul à mettre en relief les parallèles entre criminels et héros. Le calculateur, véritable Némésis d’Oracle, est ainsi au centre du récit. Si Barbara Gordon a su dépasser la perte de son identité de Batgirl pour devenir la source d’informations indispensable aux héros, le calculateur a abandonné sa carrière de criminel de seconde zone pour devenir la version criminel d’Oracle.


 Mais au-delà de ces effets de miroir, c’est la juxtaposition des destins de personnages aux situations immédiates similaires qui impressionne. Alors que Meltzer ne fait apparaître le chevalier noir que très tardivement, il écrit l’une des scènes les plus marquantes et les plus belles dans lesquelles on a pu voir le héros, faisant écho à l’inoubliable découverte de Jason Todd dans Batman 428. Et c’est bien ce constat qui permet de comprendre l’ampleur du talent du scénariste. Tout en mettant en scène Batman que le temps de quelques scènes, il en fait l’une des présences les plus importantes de l’histoire, exploitant autant son statut de légende urbaine que sa grande humanité, nous rappelant une fois encore que la tragédie, si elle a poussé Bruce Wayne a se perdre dans son rôle de Batman, ne l’a pas transformé en simple masque. Et une fois de plus, les dessins de Morales se révèlent dignes de la qualité du script. Un dessin d’œil en particulier est inoubliable. Le mystère qui permet à tous ces secrets d’éclore est aussi surprenant que bien amené, mais sa plus grande qualité est finalement de permettre à tous ces détails du quotidien, et à toutes ces sous-intrigues de nous montrer les héros sous leur jour le plus vulnérable, et donc le plus humain.

On sourit avec eux, on a peur pour eux, on pleure avec eux, et on ressent leur nostalgie. Et ça, c’est bien la marque des grands. Identity Crisis est une œuvre à posséder absolument, même si l’on n’est pas familier de l’univers Dc !


3 commentaires:

  1. Je sais que si j'ai l'occasion c'est une saga que j'aimerai beaucoup lire.

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