lundi 7 juin 2010

La perte dans les comics

S’il y a un thème récurrent dans le monde des comics, et ce quelque soit la maison d’édition, c’est bien celui de la perte. La plus évidente est celle d’un membre de la famille, de la confrérie, de l’équipe, du groupe.

Bruce Wayne a perdu ses parents, Matt Murdock son père, Peter Parker ses parents, puis son oncle, puis à nouveau ses parents, puis sa tante (après une bonne dizaine de morts presque certaines auxquelles elle a échappé de justesse), puis sa femme, avant qu’elles ne reviennent toutes deux. Puis sa tante a failli mourir une nouvelle fois, l’obligeant à pactiser avec le diable et à ainsi perdre sa femme une nouvelle fois, du moins symboliquement.



La perte est bien souvent la cause du changement, de la renaissance, qui crée les héros. On peut aussi parler de perte d’identité. En devenant des surhommes (au sens général), nos héros changent. Ils perdent leur statut de mortel commun pour devenir des dieux, ou du moins des demi-dieux, puisque tant Dc que la maison des idées ont eu à cœur de construire leur univers comme une véritable mythologie. A ce titre, le mega-crossover « Dc VS Marvel Comics » paru en 1996 témoigne d’une autre perte : celle du statut de multivers uniques. Les personnages des deux maisons s’étaient déjà rencontrés dans « Superman VS the Amazing Spiderman » par exemple, ou Batman et Hulk, mais ces histoires sont considérées comme des « what if » pour Marvel, ou des « elseworld » pour Dc : des histoires qui ne font pas partie de la continuité et se situent dans des univers parallèles.

« Dc VS Marvel Comics » tient tout à fait compte de la continuité du moment (on pense notamment à Ben Reilly en Spiderman, à l’époque où lui qu’on pensait être le clone de Peter Parker était en fait le vrai. Mais ça s’était avant qu’il perde son statut de vrai Peter Parker pour se révéler n’être vraiment qu’un clone…) et en tant que telle, vient remettre en question des univers établis et indépendants, en en faisant des voisins de galaxie en quelque sorte.


Mais bien avant cette déconstruction, Dc bouleversait sa mythologie avec son premier gros crossover, « Crisis on infinite earths », Avant cette histoire de 1985, l’univers Dc, c’était un multivers, il existait donc plusieurs versions de nos personnages. Mais le public trouvait ce concept un peu trop confus. Crisis vient mettre un peu d’ordre en détruisant des planètes, en tuant des héros, et en modifiant certaines origines. Alfred, le fidèle serviteur de Bruce Wayne, passe de trépas à vie, dans cet ordre. Jason Todd, second Robin, conçu comme un clone roux de Dick Grayson (partageant même son origine d’acrobate de cirque), devient un petit voyou brun orphelin, teigneux et rebelle (une nouvelle vision qui ne plaidera pas en sa faveur et conduire à l’apocalyptique « A Death In The Family »), Flash tel qu’on le connaît (c'est-à-dire Barry Allen, celui qu’on voyait dans la série tv) va purement et simplement finir en fumée (c’est du moins ce qu’on croyait jusqu’à « Final Crisis », dernier crossover en date de Dc). Bref, voilà une histoire qui va recimenter un univers complexe pour offrir une vision plus noire, plus sombre et plus réaliste, telle qu’Alan Moore et Frank Miller l’ont imposée.

Ces changements d’origine sont symboliques de la perte d’identité dont il était question plus haut, un thème prépondérant dans les comics. Matt Murdock a ainsi perdu la vue tout comme le caïd et plus récemment Gambit, Tony Stark a perdu son indépendance quand il a cédé à l’alcoolisme, Dace Lizewski perd son adolescence en enfilant des collants et en découvrant l’horreur d’un monde de violence. Clark Kent a perdu le statut de dernier fils de Krypton dans la saga "last son". On pense également à l’horrible perte de l’adamantium qui recouvrait les os de Wolverine, conduisant progressivement à sa perte d’humanité réelle, puisqu’il régressait au stade de félin. Une perte moins célèbre est celle de Gambit (qui reste l’un des héros les plus malchanceux) en tant que membre du groupe des X-men. Suite à l’arc « le procès de Gambit », dans lequel on découvrait qu’il avait aidé les maraudeurs et Mr Sinistre à anéantir les maraudeur, un groupe de mutants vivant sous les égouts, Malicia (Rogue) n’avait pas hésité à l’abandonner en antarctique.


Cet épisode interpelle alors sur la perte de confiance. Un thème cher à la science fiction, et aux récits d’anticipation en particulier. Les plus grandes équipes ont eu à faire face à des situations de crise (Et de ce point de vue, Dc a su choisir les bons titres pour ses crossovers, presque toujours appelés crisis). Qu’il s’agisse de la ligue de la justice d’amérique, dans des arcs comme « la tour de babel », « crise d’identité » ou « le Projet Omac », les vengeurs, qui se sont scindés à travers les âges, les conflits latents atteignant leur paroxysme avec « Civil War ». Mais si la perte de confiance entre héros alliés est courante, elle existe également entre criminels.


Récemment, le Riddler semble s’être racheté une conduite suite à une petite amnésie et officie comme détective privé freelance et honnête. Cette évolution apparaît logiquement après le traitement humiliant que lui ont infligé ses anciens comparses après sa défaite face à Hush. Mais alors que le personnage pensait pouvoir se fier à Catwoman et Harley Quinn qui se sont réformées, elles ont perdu sa confiance après l’avoir utilisé comme appât dans les pages du très moyen « Sirens of Gotham City » (Dini était un auteur particulièrement surestimé pour moi, mais c’est un autre sujet). Le lecteur lui-même ne sait parfois pas à quoi s’en tenir et finit par ne plus faire confiance aux personnages. Ainsi les épisodes 698 et 699 de Batman écrits par Tony Daniel ont-ils semé le doute et la confusion sur le Riddler. S’il semble probable de le voir retourner à ses premières amours, on ne peut que regretter ce changement, le personnage s’étant révélé plus charismatique que jamais en fin limier qui cherche à prouver qu’il est meilleur enquêteur que le chevalier de la nuit.



Après la perte de confiance du lecteur, vient celle de l’opinion publique. Spiderman a été considéré comme une menace tout au long de sa carrière, en grande partie à cause de l’acharnement de J.Jonah Jameson (un aspect qui est trahi par les films de Sam Raimi). Aujourd’hui, c’est Peter Parker qui a perdu toute crédibilité aux yeux de la ville de New York, en sacrifiant son intégrité de journaliste pour défendre un homme injustement accusé. Autre homme araignée, autre époque : Spiderman 2099 (l’une des meilleures séries que le monde des comics ait connues) plaçait au centre de son intrigue les notions de désobéissance civile et de manipulation gouvernementale à la « Big Brother ». L’ensemble des épisodes est construit avec beaucoup d’intelligence, faisant progresser plusieurs intrigues de front (notamment la perte de l’unité de la structure familiale) jusqu’à la remise en question complète d’un système à la limite de la dictature. « Batman année 100 » évoluait sur un trame similaire.


Le film « The Dark Knight » nous questionne à la fois sur les notions de pertes de confiances, sur la légitimité d’un mensonge censé protéger toute une ville, ce qui amène le concept de perte de repères, perte de limites, qui conduit à des abus de pouvoir. En ce sens, cette fin fait écho à celle de « Watchmen » D’alan Moore, dans laquelle un individu faisait le choix de sacrifier des milliers de vie pour « en sauver des millions ». La perte de la perception de la réalité est très présente dans les comics. Grant Morrison l’a utilisée de façon très appuyée (et réussie serais-je tenté d’ajouter, mais cela n’engage que moi) dans son long run, avant et pendant « Batman Rip », avec l’apport du carnet noir. Ce petit cahier recense l’ensemble des histoires incroyables que le héros a vécues, qu’il s’agisse de voyages intersidérales, de luttes contre des aliens… Une discussion entre Bruce Wayne et Alfred nous apprend qu’ils sont incapables de déterminer le réel de l’imaginaire dans ces histoires.

C’est par ce procédé que Grant Morrison a fait en sorte d’intégrer l’ensemble des histoires de Batman dans sa continuité (même si en vérité il a éludé certains faits un peu plus récents). Ce sont ainsi plusieurs dizaines d’années d’héritage d’histoires qui se perpétuent sans ce cahier qui évoque la perte de la prise sur le réel. Car la perte est presque toujours associéé à la transmission, à l’héritage.

Ainsi, un prochain article s’inscrira comme la continuité directe de celui-ci en abordant la question de l’héritage dans les comics.

4 commentaires:

  1. Très intéressant ton post, le thème est un peu vaste, perte d'un être cher, perte de confiance, perte de crédibilité, perte de statu quo, mais il y a certaines choses qui coulent de source dans un monde aux être-surhumains comme la perte humaine même si elle est aussi souvent bien présente dans les origines d'un héros comme tu l'as énoncé et qui as pour fonction de déclic de motivaton à faire le bien . Cette une perte qui également a le moins de crédibilité lorsque elle touche un perso central (jean grey, captain america) car on sait pertinemment qu'il sera réssuscité tôt ou tard.

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  2. Merci DDaDDy! C'est effectivement un thème vaste et lorsque j'ai commencé à rédiger, je me suis senti un instant perdu par l'ensemble des possibilités. Cet article est surtout une introduction à la notion d'héritage en fait. Je vais essayer de faire quelques notes thématiques de temps en temps, car les comics sont une source de réflexion passionnante!

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  3. Là je suis d'accord avec toi d'autant plus que tes références sont probantes je lirai volontier la suite

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  4. Alors je l'écrirai encore plus volontiers. Je sais déjà de quoi je vais parler... et j'ai aussi un article sur les pactes avec le diable ;-)

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