dimanche 13 juin 2010

L'héritage dans les comics

La perte n’est pas toujours irrémédiable. C’est particulièrement vrai dans le monde des comics, où les morts ont la fâcheuse tendance de ressusciter. Il fut un temps où les lecteurs déclaraient (non sans émotion) : «Tous les personnages décédés dans les comics reviennent, à part Bucky, Jason Todd et oncle Ben ». Mais même ce crédo a été mis mal dans les années 2000. Bucky n’était pas vraiment mort, Jason a été ramené à la vie lors de « Infinite Crisis » par une distorsion dimensionnelle (liée aux coups de poings de superboy prime), et oncle Ben n’est pas mort dans toutes les dimensions, ce qui explique son retour…

Quoi qu’il en soit, la perte n’est pas une fin en soi, que le personnage revienne ou non. On peut réellement parler de cycle, la perte, la mort, étant source de création, de renouveau. On peut même parler de transmission, d’héritage, un autre thème récurrent dans la vie quotidienne et donc dans le monde des comics. Bruce Wayne a perdu ses parents, et a hérité par la suite de plusieurs choses : leur fortune bien sûr, mais aussi leur idéal, leur humanité, et leur combat pour la justice. C’est la perte qui lui a permis de comprendre l’essence même de l’héritage familial. Plusieurs récits mettent en scène un Bruce Wayne n’ayant pas perdu ses parents. Le plus récent étant « the last rites », écrit par Grant Morrison, qui fait suite à « Batman Rip » et se situe entre « Final crisis » 2 et 6. On y voit un Bruce médecin, plus par fatalité que par vocation, désabusé et fade. Le fait qu’il n’ait pas perdu ses parents ne lui a pas permis d’appréhender de la même manière ce qu’ils avaient à lui transmettre.

Il est également arrivé à plusieurs reprises qu’on envisage le décès de tante May plutôt que d’oncle Ben. Sans le sacrifice de la figure paternelle (dont Peter Parker est en partie responsable, en n’arrêtant pas le voleur), le jeune homme fait une crise d’adolescence et se rebelle contre les valeurs de son oncle (en tout cas dans le « What If » de Bendis), et c’est un autre sacrifice qui le poussera à prendre ses responsabilités. L’héritage ne coule donc pas de source, il n’est pas simplement transmis, il est vécu viscéralement, afin d’être assimilé et approprié.


C’est également un schéma qu’on retrouve en dehors du cercle familial pur. Peut-on parler d’héritage, de transmission en termes d’identité ? Si Bruce Wayne disparaît, Batman peut-il toujours exister ? Bien sûr, on a déjà retrouvés une autre personne sous le masque, à de multiples reprises. Jean Paul Valley ou Dick Grayson ont repris le costume suite au crossover « Knightfall » dans lequel le criminel Bane brisait la colonne vertébrale de Bruce Wayne. Mais il s’agissait d’un travail d’intérim, pas d’un remplacement définitif. La saga « Battle for the cowl », écrite pas Tony Daniel, pose la question : Batman est-il Bruce Wayne, ou bien est-il un symbole qui dépassé le simple statut d’être humain, et qui doit survivre à celui qui l’a créé intimement ? Contrairement à Captain America, le chevalier noir n’est pas un prototype, ni un super soldat censé représenté le combat d’une nation. Il s’agit d’une part de quelqu’un, qui évoque sa perte, qui représente son héritage, et son combat pour empêcher les pertes d’autres personnes.

Pourtant, si l’on en croit la ligne éditoriale de Dc, et la conviction de Tim Drake, le symbole doit survivre à l’homme, car sans lui, la ville de Gotham est vouée à sombrer dans le chaos. Et si Tim Drake en est persuadé, c’est l’intervention aussi musclée qu’incongrue de Jason Todd qui finira par convaincre Dick Grayson, au plus profond de son être, que Batman est son héritage. Cette histoire, si elle reste décevante, n’en reste pas moins intéressante. Dick, Jason, Tim et Damian sont tous les fils de Bruce Wayne en quelque sorte. La bataille pour la cape est en fait une lutte fratricide pour un héritage. Mais le costume n’est pas le plus important. Jason Todd, l’anti héros revenu d’entre les morts, est prêt à trucider les criminels pour mener à bien la mission de Batman.



Si ses intentions sont compréhensibles, elles montrent qu’il ne s’est pas approprié l’héritage de son mentor qui se refusait à adopter de telles méthodes. Les raisons de son comportement seront abordées dans un autre article, mais il est clair qu’il constitue le fils caché, celui dont on ne veut pas parler, parce qu’on se sent coupable, l’héritage d’une erreur de Bruce, et en ce sens, son retour, s’il n’est pas toujours traité avec beaucoup de finesse, reste passionnant.

La succession de Batman est ainsi traitée sur plusieurs fronts, afin de démontrer qu’il est nécessaire d’avoir un Batman, mais aussi que Bruce Wayne EST Batman, pas parce qu’il porte le costume, mais parce que c’est une partie de lui. La série « Captaim America » suit un développement très proche, quasi similaire. Le travail d’Ed Brubaker est traité sur un ton plus réaliste, plus inscrit dans un contexte politique actuel que celui de Morrison, mais adopte une trame presque identique, notamment dans la façon d’aborder le retour de Steve Rogers. Mais Bucky est plus proche de Jason Todd que de Dick Grayson, puisqu’il a lui aussi basculé dans une voie nettement plus grise. Pourtant, à la différence du deuxième Robin, il a fini par assimiler l’héritage de son modèle, pour reprendre son rôle en assumant les mêmes choix moraux.


La question de la transmission d’identité est très présente chez Marvel. La ligne 2099 (qui aura droit à son article), débutée en 1992, évoque un futur potentiel pour l’univers marvel. Parmi les œuvres relancées, on trouve en particulier Spiderman 2099. N’ayant aucun lien de parenté avec Peter Parker, Miguel O’Hara va être victime d’une expérience qu’il a lui-même menée, et qui lui transmettra des pouvoirs très proches de ceux du spiderman d’origine. C’est tout naturellement que la population va lui attribuer le nom de Spiderman en assistant à ses acrobaties. Mais est-il l’héritier de Peter Parker ? En lisant l’ensemble des épisodes que Peter David a rédigés sur le personnage, y compris la « fin » de l’univers 2099, on constate que le combat de Miguel n’est pas le même que celui de Peter. Alors que l’homme araignée d’origine combattait le crime au jour le jour, celui de 2099 s’implique dans un combat social, en se confrontant aux inégalités entre classes avant de prendre la tête d’un empire financier pour apporter une réponse concrète aux problématiques que rencontrent quotidiennement les citoyens. On ne note pas de transmission directe, mais le crossover « Spiderman meets Spiderman 2099 » vient nous expliquer l’héritage du symbole que représente spiderman pour la société. Ce message est amplifié par l’apparition finale d’un spiderman 2211.


Cette idée d’une mythologie d’hommes araignées sera reprise de façon moyennement convaincante par J. Michael Straczynski, un auteur aux idées parfois douteuses, mais à l’écriture experte qui lui permet de faire passer une véritable émotion (comme un prochain article sur les pactes avec le diable l’abordera). On retrouve un thème similaire avec le « Retour de Bruce Wayne », de Grant Morrison, qui crée une véritable mythologie, épique et dense, autour de l’homme chauve souris.


Mais pour en revenir à spiderman 2099, Miguel O’Hara reste l’exemple le plus frappant d’un héritage incompris de ses propres créateurs. De tous les personnages de la gamme 2099, il est le plus apprécié des lecteurs, et lorsque la série a pris fin, tous ont réclamé le retour du personnage. Réutilisé par son créateur Peter David dans quelques épisodes de la série Captain Marvel v3, il réapparaîtra plus longuement dans la série « Exilés », qui comptent les mésaventures d’un groupe de héros condamnés à voyager de dimensions en dimensions pour remplir des missions plus ou moins farfelues (un épisode mettant en scène Daredevil implique l’achat d’un beignet qui conduira à une série d’événements presque apocalyptiques). Présent dans pas loin d’une trentaine d’épisodes, Spidey 2099 quittera le groupe pour vivre l’amour. Si c’est avec grand plaisir qu’on le retrouve, on note plusieurs détails : il s’agit du Miguel d’une terre alternative, et au moment où il intègre l’équipe, il n’a ses pouvoirs que depuis peu, et n’a donc pas vécu toutes les aventures que nous connaissons. Mais surtout, il est écrit comme un Peter Parker mexicain. Miguel n’a jamais manqué d’humour, mais c’est surtout un cynisme désespéré qui le caractérise, et une vision bien plus noire du monde que celle de Peter, même s’il reste profondément humaniste. Cette vision édulcorée du personnage reste malgré tout agréable.


On ne peut pas en dire autant du Miguel qui nous est présenté dans le très mauvais « Timestorm 2099 », pour lequel je publierai un article acide. De Miguel O’hara il n’a plus que le monde, et son univers n’a plus rien à voir avec celui qui nous a fait rêver dans les années 90. Il s’agit d’un parfait exemple d’un personnage malmené par des scénaristes qui ne l’ont pas compris, qui n’ont pas su appréhender l’héritage de ses créateurs. Et dans une continuité de plusieurs années, s’il est important de s’approprier cet héritage, il est déplorable de le renier et de ne pas en respecter l’essence.

L’héritage de plusieurs décennies d’histoires est pour moi l’un des plus importants que l’on puisse trouver dans le monde des comics. Et vous, qu’en pensez vous ?

4 commentaires:

  1. Eh bien tu en as des articles intéteressants en préparation. lol
    Je n'ai pas connu la version spider-man 2099 et en même temps il y a eu tellement de clone de spidey qu'on s'y perd.
    Question héritage, on peux citer des tas de héros qui abordent différemment le principe je pense entre autres à Iron-fist, le couple Richards par rapport à leurs enfants ou encore l'héritage du nom Avengers qui a pas mal fais l'actualité depuis dissembled. Je consens aussi que le parallèle entre Batman et Captain America est bien vu.
    Enfin, je crois qu'on peut décerner aux éxilés la palme des histoires les plus ahurissantes lol

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  2. merci :)
    Justement, là il ne s'agit pas d'un clone, mais bien d'une autre personne. Pour tout dire, je trouve spidey 2099 bien plus intéressant que peter parker. Il faut dire que le faible nombre d'épisodes a permis une intrigue passionnante, avec un fil rouge bâti sur une structure familiale complexe, sans pour autant oublier l'action et les histoires plus simples.

    Tu devrais vraiment essayer de lire ça surtout que l'univers dépeint est fascinant, même quand on n'est pas fan de science fiction.

    Pour l'héritage, c'est clair que faire une liste exhaustive prendrait des heures, je me suis vraiment concentré sur les lectures qui m'ont le plus touché à ce sujet, et sur les parallèles qu'on pouvait trouver.

    Pour ce qui est des exilés, j'avoue n'avoir lu que la trentaine d'épisodes dans lesquels spidey 2099 apparaît (c'est vraiment mon personage préféré chez Marvel avec DD), mais je dois dire que le concept m'a beaucoup plu. On s'attache vraiment à chacun d'eux, et les intrigues sont épiques! Il faudrait que je me les fasse tous du début!

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  3. J'ai lu quelques épisodes des Exilés mais Spider-man 2099 ne faisait pas partie de l'équipe, même si le concept est original il peut s'essoufler très vite si les auteurs manquent de créativité.

    C'est clair qu'il vaut mieux parler de ce qu'on connais et aime le plus ça va de paire.

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  4. En tout cas la trentaine d'épisode que j'ai lue était très sympa, notamment grâce à un fil rouge qui donnait une intensité appréciable à l'ensemble. Et même si spidey est plus écrit comme peter parker que comme le spidey 2099 d'origine, il y est très charismatique!

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