jeudi 23 septembre 2010

Spider-man 2099

L’univers super-héroïque, quelle que soit notre maison d’édition de prédilection, s’apparente aisément à une mythologie. Dc et Marvel ont créé tellement de héros, à la notoriété plus ou moins importante, que les ramifications de ces mondes de légende deviennent parfois difficiles à distinguer. Et comme si la juxtaposition de dimensions parallèles ne suffisait pas (les « What If » chez Marvel et les « elseworlds » chez Dc), l’héritage des héros se projette également dans le temps.
Cette idée de continuation sans attache trop indélébile à la continuité a été exploitée par la société de Stan Lee lors du lancement de la ligne « 2099 ». On y assiste aux exploits de héros inspirés par ceux que l’on connaît au 20ème siècle, à l’aube du 22ème. Doom, Hulk, le punisher, les X-men et Ghost Rider ont tous eu droit à leur série. Les 4 fantastiques originaux se sont retrouvés expédiés en 2099 le temps d’une histoire modérément longue. Le personnage de Ravage et son combat écologiste voué à l’échec a même été créé pour l’occasion. Mais si l’un des personnages du futur a su s’attirer les faveurs du public, il s’agit bien de Spider-man 2099.



Si un héros comme Batman est porteur d’une symbolique personnelle lourde de sens qui rend la passation difficile (mais pas impossible, même thématiquement, comme on a pu le voir récemment), Peter Parker a élaboré son identité de scène en fonction de ses pouvoirs avant tout. Et même si c’est le meurtre de son oncle qui l’a fait passer de showman à héros responsable, Spider-man est surtout associé à des pouvoirs rappelant les facultés d’une araignée.
Les capacités surhumaines de Spider-man 2099 ne sont pas exactement les mêmes que celles de son modèle. Au sens d’araignée se substitue une vision accélérée qui lui permet de réagir avec vivacité face au danger. Il est également capable de produire sa toile organiquement, ce que Peter Parker n’a été en mesure de faire qu’à quelques occasions précises (costume noire, captain universe, ou le run lamentable de Jenkins avant que cette idée ne soit rapidement abandonnée). Comme l’original, il peut adhérer aux murs et possède une force accrue. Mais le personnage en lui-même est radicalement différent, et son combat n’est pas le même.

Miguel O’Hara est un scientifique d’origines irlandaises et mexicaines, travaillant pour la corporation la plus puissante des Etats-Unis, le groupe Alchemax. Ses recherches portent sur le sérum du super soldat à l’origine de la création de Captain America. Arrogant et cynique, le personnage n’a pas que des amis, loin de là, ce qui ne l’empêche pas de manifester un sens aigu de la morale, comme le prouve son refus de tester le sérum sur des humains sans être certain qu’il n’est pas nocif. Piégé par son employeur, Tyler Stone, il va être amené à mener l’expérience lui-même, mais tout ne se déroulera pas comme prévu, à cause des manigances d’un rival. Sa mutation ne passera pas inaperçue, et sera l’objet de toutes les convoitises. Loin d’être un héros né, c’est par la force des choses qu’il va devenir le symbole de la lutte contre la tyrannie des corporations, qui profitent des inégalités sociales.

Car l’univers de science-fiction n’est pas qu’un habillage dans la ligne 2099, et on revient aux fondements du genre de l’anticipation, aux côtés des « Soleil Vert » et autres « 1984 ». Le contrôle est omniprésent, la vie privée inexistante.
Le costume du personnage, très esthétique et vraiment différent de celui de Peter Parker, est lié à ses origines mexicaines et à la fête des morts. Il le portera dans un premier temps afin de conserver son anonymat, poursuivi par un mercenaire qui suit sa trace énergétique suite à l’expérience, sans réelle intention d’en faire ses couleurs. Ce n’est d’ailleurs que tardivement que O’Hara acceptera de se faire le défenseur du peuple. L’acceptation de l’uniforme se fera en parallèle de son éveil politique.


Le titre étonne par sa maturité, et en seulement une quarantaine d’épisodes, les thèmes abordés sont aussi variés que riches. On se rapproche plus du Daredevil d’Ann Nocenti que du Spider-man de J.M Straczynski, intéressant mais clairement autocentré. Luttant d’abord pour sauver sa vie, Spider-man 2099 va être confronté à la misère de la ville basse. En effet, les buildings aériens et futuristes de la ville haute ont été construits sur les vieux immeubles de l’ancienne ville. Rapidement, les écarts économiques se sont creusés, et les habitants d’en bas doivent aujourd’hui lutter au quotidien pour survivre, entre les guerres de gangs et les difficultés à se nourrir. Toujours sans concession, les problèmes graves du cannibalisme et de la nécrophagie sont abordés. Le ton adulte n’est jamais gratuit, et se l’évolution thématique se fait logiquement. Les dangers d’une vie purement virtuelle et l’importance de l’écologie seront également des sujets marquants, assurant à la série une profondeur à laquelle Peter Parker n’a jamais pu aspirer (même si la série originale possède quelques épisodes inscrits dans une réalité sociale inquiétante).

Mais au-delà de ce contexte fort, la richesse du titre vient de ses personnages. Avant d’être le récit d’un super-héros en devenir dans un univers de science-fiction d’anticipation, « Spider-man 2099 » est un récit intimiste. Rarement les seconds rôles auront été autant mis au premier plan, et ce tout au long de la saga. La construction familiale chaotique, qui aurait pu virer au soap opéra, donne lieu à des scènes puissantes. C’est d’autant plus vrai qu’on s’attache à ces personnages qui n’ont rien de saints et ne tombent jamais dans le manichéisme. Les non dits familiaux, le poids des secrets et les rivalités sont exploités avec beaucoup d’intelligence et constituent l’épine dorsale d’une histoire qui se construit de façon cohérente sur la durée. Les coups de théâtre et retournements de situation sont nombreux, mais ne paraissent jamais excessifs ou hors de propos.


De fait, on assiste à une véritable évolution de l’ensemble des personnages, et de leurs relations, qui reste toujours crédible. Ce fil rouge narratif immerge le lecteur et favorise son addiction. Le fait que le créateur de la série, Peter David, ait officié sur la quasi intégralité des épisodes n’est certainement pas étranger à cette réussite narrative. L’auteur s’est beaucoup investi dans cet univers, et sa collaboration avec le dessinateur Rick Léonardi (qui a dessiné la majorité des épisodes, mais maheureusement pas tous) contribue à offrir des repères au lecteur qui apprend réellement à connaître Spider-man 2099. Malheureusement, Marvel a mis fin à la ligne en 1998, à cause de la chute des ventes.

Certains points narratifs n’ont donc pas été menés à terme. Avant de supprimer les séries, la maison des idées a décidé d’offrir une vraie fin à cet univers passionnant. L’arc « World Of Tomorrow » et l’épisode « Manifest Destiny » mettent donc un point final à l’univers 2099, révélant les destins de tous les personnages. Si Spider-man est un peu en retrait dans ces histoires, Miguel O’hara est celui dont le rôle sera le plus important, preuve de sa grande popularité. Il atteindra presque le statut de dieu en fin d’histoire, continuant son combat pour la justice et le respect, tant de l’humain que de la planète.



Mais Peter David n’en avait pas fini avec son personnage, et l’a fait apparaître le temps de 3 épisodes dans la série « Captain Marvel ». L’une de ses apparitions majeures reste sa participation à l’excellente série « Exilés », le temps d’une trentaine d’épisodes. Rejoignant l’équipe dans ses voyages d’une dimension à l’autre, Miguel finira par trouver la paix et continuera son chemin auprès de celle qu’il aime. Si on apprécie de retrouver un personnage si charismatique, on regrettera qu’il soit écrit comme un clone de Peter Parker.

L’occasion la plus récente qu’aient eu les lecteurs de voir Miguel, est le lamentable crossover Timestorm 2099 (qui aura droit à sa propre critique), qui ne fait jamais justice au personnage, et modifie de façon ridicule son histoire, supprimant tout ce qui rendait Miguel unique et passionnant.

Les amateurs de jeux vidéos ont eu l’opportunité de l’incarner pour la première fois (même si on pouvait porter son costume dans d’anciens jeux, c’était toujours sous les traits de Peter Parker) dans le jouissif (et bientôt critiqué) « Spider-man Shattered Dimensions ».

Toutes les qualités énumérées jusque-là peuvent expliquer l’attachement à la série. Mais l’attachement au personnage vient de sa grande humanité. Miguel O’hara n’est pas un bon samaritain proche du saint comme Peter Parker. Il n’est pas gentil avec tout le monde, il ne se creuse pas un ulcère à chaque décision, et il lui est même arrivé de tuer (par accident, mais il ne s’en est pas senti mortellement coupable). Arrogant, égoïste, c’est lorsque la réalité le frappera de plein fouet qu’il acceptera enfin d’ouvrir les yeux. Son évolution est crédible et très intéressante. La publication en parallèle d’une mini série « Young Miguel O’Hara » donne un éclairage très révélateur sur sa jeunesse et son cynisme. Loin de manquer d’humour, Miguel est bien plus sombre que Peter Parker et ressemble bien plus à un adulte. Il ne reste plus qu’à attendre son retour, en espérant revoir le VRAI Miguel O’hara, et non un clone de Peter Parker ou un adolescent sans substance.


Spider-man 2099 est une série exceptionnelle, qui mérite largement d’être découverte et redécouverte.

8 commentaires:

  1. Très bel article qui donne envie de lire la série que je ne connais hélas que de nom. Mine de rien Spider-man 2099 a fait plus d'apparition que je ne pensais dommage qu'elles ne lui rendent pas toutes justice. A vrai dire j'espérais bien que tu nous parlerais du jeu shattered dimensions et j'attends avec impatience ta critique :)

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  2. Merci beaucoup amigo! L'an dernier, MArvel a publié en vo un recueil des 10 premiers épisodes, ce qui était une initiative excellente, j'espère d'ailleurs qu'ils s'occuperont de la suite.

    Pour moi, spider-man 2099 est vraiment une des séries les plus intéressantes jamais publiées par la boite, et le personnage est bien plus intéressant à mon sens que peter parker.

    Critique du jeu d'ici la semaine prochaine je pense (le temps de le finir dans tous les sens), mais je suis suffisamment loin pour affirmer qu'elle sera positive. Scénar au ras des paquerettes, mais ça passe, grâceau second degré, au ton plutôt léger, et au mélange très réussi des univers. Et puis le plaisir de jeu est évident!

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  3. Très vrai tout ça! La ligne 2099 (à l'exception notable de Ravage) partait extrêmement bien. A (re)lire aussi, l'excellent et très étrange Ghost Rider 2099 et mon préféré, Doom 2099, ou comment transformer un super villain Marvel en héros!
    Au passage, un excellent blog, pertinent et surtout très bien écrit (ça change). Tes nombreux articles sur Batman m'ont fait apprécier différemment le run de Morrison. Merci et keep up the good work!

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  4. Voilà un message qui permet de démarrer l'année en beauté :). Ton commentaire fait extrêmement plaisir pour plusieurs raisons: pour commencer, j'ai l'impression que l'univers 2099 a vraiment eu du mal à trouver son public en france, même parmi les lecteurs réguliers de la maison des idées. Et je dois dire que comme toi, j'ai adoré Ghost Rider 2099, pour son ambiance incroyable et ses dessins impressionnants. Ravage avait du potentiel, certains épisodes n'étaient pas mauvais, mais je pense aussi que les idées n'ont pas été bien exploitées. J'ai également eu du mal à adhérer à Hulk 2099, comme beaucoup de lecteurs je pense, puisqu'il s'agit de la série la plus courte. Je trouverais vraiment agréable de retrouver tous ces personnages, mais en un sens, Marvel a apporté une véritable fin à la ligne avec manifest destiny, fin relativement satisfaisante, mais qui n'exclut pas, finalement des histoires "oubliées". En revanche si c'est pour avoir droit à un traitement ultimate du pauvre comme dans timestorm, je préfère rester sur les bons souvenires d'autrefois.
    ça fait également très plaisir de recevoir des compliments pour mes avis, je pars toujours du principe qu'un avis reste subjectif, donc j'écris avec mes tripes pour faire partager cette passion. En ce qui concerne Morrison, je n'ai pas été immédiatement emballé, et il a fallu que j'arrive au troisième épisode de Rip pour remettre en perspective tout ce qu'il avait écrit depuis "Batman And Son", et c'est vrai que sa construction dramatique me parait vraiment aboutie quand le double climax de "The Return Of Bruce Wayne" et "Batman And Robin" explose. "Batman Inc" s'annonce tout aussi spectaculaire, et je pense qu'une fois de plus, la surprise sera au rendez-vous, sans qu'on ait la sensation que les événements s'enchaînent sans logique.
    Sinon je prépare une rétrospective sur le personnage de Hugo Strange, de ses débuts dans "Detective Comics 36" à "Batman Terror" (je ne pense pas qu'il soit réellement intéressant de s'approfondir sur ses récentes apparitions, Tony Daniel s'en étant servi comme d'un pantin).
    Merci encore pour ton message!

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  5. ça parle de la série 2099 par ici ? Génial !! J'avoue que c'est la série que j'ai le plus suivi lors de mon adolescence ! Les séries traditionnelles étant déjà trop entamée pour moi, avec une multitude de super-héros qui ne me plaisaient pas plus que ça (à part Batman qui est vraiment à part). Dans les séries traditionnelles, si on se baladait dans la rue, on avait plus de chance de tomber sur un mutant que sur un être humain !!!

    Et 2099 naquit. Complexe, sombre, des héros qui tuent des méchants... Des héros pas si héros que ça ! J'ai adoré... Des épisodes très bons, d'autres très mauvais... Mais dans l'ensemble, cela reste pas mal du tout. Je garde mes numéros précieusement...

    La série s'est arrêtée net. Dommage. Et plus dommage encore, je n'ai jamais lu les suites qui ont été éditée. Et oui, je ne lis pas l'anglais ! dommage !

    J'aurais savoir ce qu'à fait Doom, ce qu'il est advenu de Spider Man, et qu'est devenu l'utopie des X-Men qui commençait à tourner au vinaigre (c'était l'écatombe !).

    Bravo pour cette article ! Et si un jour vous avez l'idée et l'envie de nous raconter la suite de l'histoire, ce sera avec grand plaisir ! :-)

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  6. ça fait plaisir de voir un fan enthousiaste! Malgré un certain succès, la ligne 2099 n'a pas trouvé son public et c'est bien dommage: il y avait en effet des ratés, mais le propos était audacieux et exploitait le côté sf d'anticipation avec intelligence. Il y a quand même eu une vraie fin avec 2099 manifest destiny. En tout cas, quand on voit l'horreur qu'est "timestorm 2099", il vaut mieux qu'ils laissent les personnages.
    Il faudrait en effet que je rédige un article sur la suite des aventures de miguel, mais aussi sur les autres personnages de 2099. Merci de me redonner cette motivation! :)

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  7. Et bien tu auras au moins un lecteur ! C'est toujours ça de pris ! ;-)

    Il me semblait que Marvel avait décidé de mixer toutes les histoires dans un seul périodique "2099 world of tomorrow". Il y a t'il eu une traduction française ?

    Oui, 2099, une très bonne série, plus adulte que les séries classiques, mais qui a aussi essuyé pas mal de grosses chutes de qualités. Mais bon, ça n'enlève pas certaines passages succulents ! ;-)

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  8. J'ai lu world of tomorrow en vo, je ne suis donc pas en mesure de te répondre, mais il me semble que la parution vf était allée au bout de la série. World of tomorrow est le gros crossover qui mettait un point final au destin de l'ensemble de l'univers 2099. On sentait à quel point spiderman était le personnage le plus important d'ailleurs.

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