lundi 4 avril 2011

Sucker Punch

Alors que le premier film d'auteur de Zach Snyder est dénigré par le monde entier mais acclamé par le public français (certains n'hésitant pas à employer le terme de "chef d'oeuvre"), Histoires De Comics... Et De Zombies vous proposent non pas une, mais deux critiques, puisque mon ami Anel joue les guest-stars du jour! Je vous invite d'ailleurs à visiter son blog sur le cinéma de Hong Kong: http://hkblog.blogs.allocine.fr/?blog=hkblog&tool=&page=1&f=1




Critique d'Anel Dragic :

La sortie de Sucker Punch était ardemment attendue de la part de la communauté geek. Qu'il s'agisse de fans de Zack Snyder ou au contraire de ses détracteurs, le curiosité de voir Zackie mettre la main au scénario intriguait. Il s'agit en effet d'une épreuve de vérité pour lui, le bonhomme n'ayant plus aucun scénario adapté derrière lequel se cacher. Se montrerait-il capable de relever le défi ? Nous verrons ça dans la partie suivante. Mais tout d'abord, pour en finir avec le "cas Snyder", sachez que la critique qui suit n'a pas pour but de crucifier ses tics de mises en scène (alors oui c'est du gros clip bien baveux, oui c'est du jeu vidéo super poseur, oui les dialogues sont à chier), car au vu de la bande annonce, tout laissait croire à un divertissement décérébré, un spectacle bling-bling pour nerds en manque de geekerie tendance. Qu'attendre de plus de la part d'un type qui n'a jamais rien eu à dire et qui n'a jamais su apporter son point de vue sur les œuvres qu'il adaptait ? Laissons donc de côté les "tics qui fâchent" et intéressons nous davantage au propos même du film.

La subtilité par le néant

Un film peut-il se reposer uniquement sur son univers visuel, en se détachant de toute trace de scénario, et parvenir à exister par lui-même ? Question légitime tant de nombreux réalisateurs (expérimentaux par exemple) se sont pliés à l'exercice. Nous n'irons pas jusqu'à dire que Sucker Punch est un film expérimental, mais au premier abord, c'est bien à un trip visuel décérébré auquel nous semblons avoir à faire. Et il faut l'avouer, Zack Snyder peine encore à donner une structure solide à son récit. Il y a en effet une tension forte entre certains rouages assez subtiles d'un côté (les imbrications de rêves à la Nolan) et une narration fragmentée et répétitive de l'autre. On peut en effet se demander ce que viennent foutre au beau milieu de ce drame psychologique ces niveaux de jeux vidéo influencés par la culture geek japanime/jeux vidéo. On retrouve grosso modo, outre le personnage de Babydoll en écolière digne de n'importe quel film ou anime jap, des samouraïs, des soldats sortis de Jin Roh, une réplique de Minas Tirith, et un niveau dans l'espace évoquant toute l'imagerie vidéo-ludique SF de ces dernières années. C'est à la fois le sujet du film, mais aussi le problème. Certes le film parle d'évasion par le rêve, par le pouvoir de l'imaginaire (appuyé de manière pachidermique par des reprises telles que "Where Is My Mind?") pour des personnages enfermés dans un quotidien infernal, et même si le cocktail « geek culture » est assumé, il semble bien facile d'en faire une succession de scènettes indépendantes, que l'on pourrait totalement supprimer sans que le film n'en pâtisse. Certes, cela reflète le combat intérieur de ces filles, mais le caractère répétitif du schéma danse/évasion psychologique/vol d'objet semble quelque peu simpliste, sans véritable cohésion d'ensemble, ni véritable justification. Ce genre de structure narrative, c'est ce que j'appellerai une narration "carotte-bourrique". Pour faire simple: on vous liste une série d'objectifs à remplir (et de préférence, le même objectif quatre fois de suite) et on attends la résolution à la fin. Ici, cela prends la forme de quatre objets à voler. Alors, nous ne nous étendrons pas sur la facilité d'une telle évasion (une carte, un briquet, un couteau et une clé suffisent à s'évader), qui suit une structure tout ce qu'il y a de plus banale dans le monde du jeu vidéo, mais on déplorera en revanche le manque de progression et d'enjeux que cela implique. Cela donne véritablement l'impression qu'entre le début et la fin du film, celui-ci n'a rien à raconter, et pire, qu'il le raconte de manière anti-cinématographique. On peut au final douter de la légitimité de ces séquences. Le cinéma de Snyder manque de retenue et le bonhomme semble avoir pris un malin plaisir à y mettre toutes les idées qui lui passaient par la tête. Bien dommage puisque c'est la cohésion d'ensemble qui en prend un sacré coup.



Voyons maintenant le deuxième problème qui se pose à la vision du film. En effet, ce qui semblait un spectacle totalement décérébré pendant 1h40 prends sur sa fin une tournure toute autre. Snyder tente de justifier les actions qui ont précédées par un twist et un message essayant de transformer la merde en or, ou la connerie en intelligence. Zack essaie en effet de transformer l'essai pour dissimuler la vacuité du propos. Pour revenir sur les faits, nous avons en effet au début du film le personnage de Baby Doll qui entre dans un asile assez miteux et se retrouve ensuite sur la table de lobotomie, puis le montage substitue Sweet Pea à notre chère poupée. Nous sommes alors dans une maison close où les filles sont forcées à danser. Le montage du passage derrière le miroir était suffisamment dérangeant pour faire tiquer le spectateur. La seconde scène de lobotomie à la fin du film l'est toute autant puisqu'elle reprenait le même cadrage, comme si rien ne s'était passé entre les deux scènes, la mise en scène révélant alors l'asile miteux et les évènements vus précédemment sous un autre angle. On comprends alors que Baby Doll ou Sweat Pea était un avatar, un "ange gardien" de Sweet Pea ou Baby Doll (le film laissant l'ambigüité sur le personnage au centre de l'histoire) et qu'elle lui permettait d'échapper à la réalité. En effet, l'absence de visage de Baby Doll à la fin, et la vision de Sweet Pea s'échappant dans un paysage de carte postale, retrouvant par la même occasion le vieil ange gardien nous montre l'évasion intérieure du personnage. Tout cela est bien joli, et presque attendrissant si un problème majeur ne nous restait pas en travers de la gorge. Outre ce laborieux twist (prétentieux diraient certains), que se passe-t-il entre les deux scènes de lobotomie ? Que reste-t-il a sauver narrativement qui vienne construire le récit ? Une vision des choses pourrait être que Snyder à fait son Nolan. Là où le réalisateur du Prestige faisait une inception du spectateur avec son film, Snyder fait une lobotomie de son spectateur pendant la quasi-totalité du film en l'abreuvant de jeux vidéo. Avec cette fin, le spectateur refait tout le film dans sa tête, revenant à la réalité en même temps que la caméra de Snyder, mais on peut se demander si le film n'aurait pas été plus intéressant en se focalisant sur l'action dans l'asile et le théâtre, en s'enfermant avec les personnages. Non, à la place, Snyder préfère les "pauses publicitaires" vidéoludiques, vidant par la même occasion l'esprit du spectateur plus enclin à venir voir des babes qu'à se faire raconter une histoire. Mal écrit ou pas, on soulignera la maladresse inhérente à l'importance de ces séquences, à mon sens trop gratuites et rendues d'autant plus insignifiantes lorsque l'on voit la prétention de ce dénouement final et le discours qu'il véhicule.



Le cas de la critique du voyeurisme sexiste chez les nerds

Après avoir étudié un peu l'œuvre, venons en à un deuxième débat sur le film: celui entourant le discours que Snyder revendique dans les interviews, et que la critique s'est réappropriée pour prôner le "véritable sens du film". Une démarche agaçante et de mauvaise foi qui laisse entrevoir à la fois la prétention du réalisateur, mais également de la critique française qui tente de réhabiliter une œuvre, comme pour réparer une injustice que seule la France aurait été capable de percevoir.
Snyder évoque avec une ferme conviction que son film est une critique du voyeurisme sexiste des geeks. Sauf qu'un problème se pose lorsque l'on avance une telle affirmation: A aucun moment le film ne semble porter un regard critique sur la question. L'héroïne, ou plutôt les héroïnes du film, mais surtout Baby Doll sont une armée de babes que n'aurais renié aucun jeu vidéo. Baby Doll en est peut-être l'incarnation la plus évidente, puisque avec son costume d'écolière et le visage botoxé et photoshoppé d'Emily Browning, elle revêt clairement un look de poupée. On peut en effet aborder la question et dépeindre des protagonistes féminins véhiculant un physique stéréotypé pour en faire une critique, mais le problème vient ici du point de vue de Snyder et de ce qu'il fait de ses poupées. Le réalisateur peut revendiquer qu'il critique les geeks, mais il est le premier à agir comme tel et à envoyer ses poupées sur le champ de bataille pour leur faire accomplir des actions "super cools". Snyder fait preuve dans ces séquences d'un fétichisme flagrant, et l'on sent l'accomplissement d'un fantasme que lui seul voulait mettre en image mais qui ne se justifie qu'assez peu scénaristiquement parlant. Snyder joue donc avec ses poupées. Il y a dans leur représentation un manque cruel d'ironie mordante, comme le ferait par exemple Verhoeven avec ses personnage tout lisses de Starship Troopers, pour véritablement pouvoir prétendre critiquer les figures qu'il met en scène. Par ailleurs, le film fait preuve d'un manque d'humour assez déconcertant. En revanche, on soulignera l'ambivalence du texte, puisque le film peut aussi être lu comme une fable féministe. Les femmes y sont fortes, prenant leur indépendance, face à toute une galerie de personnages masculins tous plus insauvables les uns que les autres. Venant du réalisateur de 300, cela peut prêter à sourire. La critique se montre donc ambigüe: entre critique du sexisme et fétichisme machiste, la ligne de démarcation se montre assez floue. Jamais Snyder ne laisse entrevoir les fêlures dans ses poupées en porcelaine, jamais il ne leur donne de chair, ni d'épaisseur. Jusqu'à la fin, elles restent aussi inconsistantes que la critique qu'il semble vouloir faire passer. On peut ensuite considérer que l'univers de Snyder joue aussi des clichés. Certaines fantasmagories laissent entrevoir un caractère grotesque déjà présent dans ses précédents films, à l'image du vieux maire bedonnant, sosie de Jean-Marie Lepen, cigare à la bouche, allure de pimp, jeu cabotin outrancier. Clairement, le monde représenté (il s'agit alors d'un niveau de rêve) est caricatural, et d'autres personnages le sont tout autant, tel ce vieil ange messager qui mène les héroïnes d'un niveau à l'autre. Dans ce type de représentation, Snyder s'éclate. Il fait certes preuve de cynisme vis à vis des personnages, mais se montre parfois plus décomplexé, notamment durant les séquences de jeux vidéo. Parler de critique (notamment de la culture geek) lors de ces séquences peut être considéré comme de la mauvaise foi si l'on prends en compte quelques détails. Qui est son public ? Les geeks! A quoi rend-t-il aussi hommage ? A la culture geek! On ne peut donc pas dire que le réalisateur soit dans la meilleure position pour critiquer son public puisqu'il est lui même un proto-geek, qui peine à s'assumer.




Revenons maintenant à la question de la presse, et plus particulièrement de la presse française. Se considérant comme l'intelligentsia suprême, comme l'exception culturelle mondiale, comme le redresseur de torts des causes perdues, la France à toujours aimé jouer les originales. Là où le film se fait casser de manière monumentale aux Etats-Unis, il jouit de critiques plutôt positives en France, mais il est assez drôle de constater que les raisons invoquées pour redorer le blason du métrage ne sont pas les bonnes. Plus souvent apprécié pour ses qualités esthétiques et son contenu "manifeste geek", tout l'aspect scénaristique semble en effet avoir volé au dessus des esprits de notre chère élite intellectuelle nationale. Peu de critiques se risquent à aborder le scénario de Snyder et pourtant, il fait le cœur du film, là où une première lecture semble laisser apparaître une absence de celui-ci. Mais si le message n'a pas été perçu, on peut se demander si le réalisateur a été assez bon pour le faire passer. Cela tient selon moi au fait que Snyder est quelqu'un de naif, et son script de base comporte déjà des failles dans son discours, si bien qu'on peut prendre celui-ci dans le sens que l'on veut, voir même le retourner contre son auteur. Snyder n'est pas un intellectuel, et que le message soit sincère ou hypocrite, jamais il ne le retranscrit avec habileté, ni avec une profonde réflexion derrière. Une certaine superficialité du propos l'emporte donc, appuyée par une sophistication du récit apte à détourner l'attention du spectateur peu attentif. Dommage que le sens en reste assez abscon, mais une chose est certaine: le film se prête au débat, au sens de la polémique, et c'est peut-être ce qu'il y a de plus intéressant avec les oeuvres de Zack Snyder.



Critique de Bat-Léo :
Qu’est-ce que la réalité ? Est-ce que connaître la réponse à cette question permet d’accéder au
bonheur ? Et qu’est-ce que le bonheur après tout ? Pour certaines personnes, ces interrogations sont la base d’un questionnement créé par les frères (ou plutôt le frère et la sœur désormais) Wachowski avec leur trilogie Matrix. Cette réflexion sur les différents niveaux de réalité existait pourtant bien avant. Dans son roman Ubik, Philip K. Dick prenait constamment le lecteur de court en multipliant les coups de théâtre jusqu’à la dernière page, avec un talent incroyable. Mais c’est plutôt à la philosophie qu’il faut s’intéresser pour retrouver les origines de ces questionnements. Plus particulièrement à l’œuvre de Platon. Son allégorie de la caverne peut ainsi être considérée comme la base des questionnements d’un grand nombre d’œuvres de science-fiction. Après tout, la philosophie n’est-elle pas la base de tout ?  Dans l’allégorie, la découverte de la réalité est trop dure à accepter pour des personnes qui vivent depuis toujours dans le mensonge, ce qui conduit au meurtre. Mais si cette idée est souvent reprise, le schéma peut être différent. Dans Alice Au Pays Des Merveilles et Alice : Au-Delà Du Miroir, de Lewis Caroll, C’est la réalité qui prime, et l’autre monde permet de s’en échapper pour découvrir un univers à priori plus harmonieux, même s’il se révèle peuplé de dangers. Malgré les aspects plus sombres qu’il n’y paraît de ces deux romans, leur univers reste accessible à un public large. Aussi, lorsque paraît en 2001 le jeu American McGee’s Alice, c’est avec plaisir qu’on découvre un monde au bord de la folie, peuplé de paysages tortueux et de personnages monstrueux. La réalité est encore plus morbide, et Alice est enfermée dans un asile. Les amateurs du jeu espéraient donc, à l’annonce de l’adaptation du roman par le réalisateur Tim Burton, retrouver ce mélange d’images fantastiques teinté d’horreur et de second degré. Le résultat n’était pas vraiment conforme à ces attentes, c’est pourquoi l’annonce d’un « Alice Au Pays Des Merveilles dans un asile avec des mitraillettes » par Zack Snyder ne pouvait que réjouir. Ce dernier s’est fait connaître avec son remake du Dawn Of The Dead de George A. romero avant d’adapter les romans graphiques 300 de Frank Miller et Watchmen d’Alan Moore. Son manque de vision était un avantage dans le cas de ces deux derniers films, puisqu’il permettait de ne pas dénaturer le propos et de livrer des adaptations fidèles. Le Royaume de Ga’Hoole- La Légende Des Gardiens était une incursion dans le divertissement familial également adapté de l’écrit d’un autre. Sucker Punch est donc la première occasion de découvrir les talents de scénariste de Snyder.



S’il y a un élément commun dans toutes ses réalisations précédentes, c’est un style visuel très soigné et un montage ponctué d’effets (de tics diront certains) qui rendent son travail immédiatement identifiable. L’alternance de ralentis et d’accélérés inaugurée de façon spectaculaire dans 300 est ainsi devenue sa marque de fabrique. Dès l’introduction de Sucker Punch, on retrouve cette façon très particulière de tourner. Le sens du cadre de Snyder est évident, et l’harmonie de ses plans, alliée à un montage sonore percutant, donne beaucoup d’impact à la dramaturgie des événements qui nous sont présentés. Si on ne comprend pas vraiment la nécessité de s’auto-citer en reprenant deux plans de Watchmen, cette présentation nous immerge dans un univers d’autant plus cauchemardesque qu’il est réel. Et ce n’est pas l’internement dans un asile d’aliénés aux teintes glaciales qui viendra contredire cette sensation. Snyder va alors introduire un compte à rebours qui fait office d’élément dramatique. Mais plutôt que de se saisir de cet impératif pour faire de son récit une course contre la monte angoissante, il va choisir de rendre la violence de la maladie mentale glamour. Car comme l’expliquera l’un des personnages « un costume d’écolière ou une malade mentale en camisole ça peut faire fantasmer ». Cette tentative d’ironie n’atteindra bien sûr jamais le stade de la réflexion. En effet, le choix de segmenter l’intrigue en phases de jeu vidéo instaure un rythme évident, mais ce déroulement se fait au détriment d’un véritable développement de la psychologie des protagonistes. On a d’ailleurs bien du mal à comprendre la nécessité d’introduire cinq jeunes femmes quand au moins deux d’entre elles n’apportent rien à l’histoire. Et c’est bien là le problème de Sucker Punch, ne sachant pas quoi raconter, Snyder ne sait pas quoi montrer. Quand on aborde le monde du rêve ou du délire, le risque de créer un fourre-tout n’est jamais loin. Mais il existe une littérature du rêve bien assez dense pour tenter de créer des univers qui ont une résonnance avec ce qu’est le personnage ou les épreuves qu’il rencontre. Or il devient rapidement évident que le réalisateur a juste cherche une excuse pour mettre dans un même film des tengus samouraïs, des nazis zombies, des orcs et des robots. Comme l’exposait la bande annonce, l’héroïne a besoin de récupérer plusieurs objets pour s’échapper, et ce n’est qu’en s’enfuyant dans son imaginaire qu’elle peut en faire l’acquisition. C’est en tout cas ce qui nous est expliqué. Car tout indique le contraire. C’est en dansant que Babydoll s’évade dans son esprit. Dans les faits, chaque scène se déroule selon un schéma similaire : Babydoll distrait un homme en dansant, et l’une des filles profite de ce manque d’attention pour voler l’objet. Mais plutôt que de se contenter de nous montrer cette démarche simpliste, Snyder nous introduit dans des univers très cartoons. L’arrivée dans un temple japonais et la confrontation avec des tengus samourais fait office d’entraînement, puisque c’est là que « l’homme sage » explique sa quête à Babydoll. Aucun détail de cette scène ne vient faire écho à des thématiques développées plus tôt. Le vol d’une carte qui conduit dans les tranchées de nazis zombies n’a pas plus de légitimité narrative. En fait, aucun de ces scènes n’a de lien avec l’intrigue. S’il est évident lors du visionnage que les décors et créatures ont été choisis pour attirer un public ciblé, il suffit de lire les interviews du réalisateur pour constater qu’il n’y a aucun sens caché. A un journaliste qui lui demandait pourquoi il avait placé un robot géant avec un dessin de lapin au milieu des tranchées, Snyder répondait ainsi « parce que je trouvais ça cool ». De plus, ce qui se déroule lors des délires n’est pas toujours conforme à la scène « réelle », il n’y a donc pas de réels enjeux. Sur une heure quarante de film, une bonne heure dix est donc consacrée à la récupération des objets.




Au-delà du manque de cohérence des évasions dans l’imaginaire, tout n’est pas exploité à sa juste valeur. Pourtant, ces passages ne sont pas dénués de qualité. Il est par exemple intéressant de constater que Snyder adopte une réalisation et un montage différent à chaque scène d’action. Le combat dans le temple japonais bénéficie ainsi de plans larges et de travellings amples, qui donnent du relief à la taille démesurée des agresseurs. Dans les tranchées, il opte pour une caméra à l’épaule tremblotante qui nous immerge dans l’action sans la rendre illisible. Damon Caro chorégraphie cette scène avec beaucoup d’énergie et d’inventivité. L’alternance entre les armes à feu et les armes blanches offre beaucoup de variété et les échanges sont vraiment musclés, d’autant plus que les filles affrontent une véritable armée, tant par son entraînement que par son nombre. On s’étonne par contre de voir que Snyder choisit de donner une explication à la zombification des nazis. Pourquoi donner cette légitimité à un élément de l’imaginaire alors que l’ensemble n’a de toutes manières pas de rapport avec l’intrigue ou la personnalité des héroïnes ? Du point de vue divertissement pur, ce passage reste l’un des plus satisfaisants de Sucker Punch. L’attaque d’un château d’orcs est par contre bien décevante, puisqu’elle ne consiste finalement qu’en une poursuite entre un dragon et un avion. Elle permet d’ailleurs de constater que le mélange des différents univers ne fonctionne pas du tout, car il n’y a pas de cohésion narrative. C’est finalement un groupe de robots que les filles devront affronter dans un train pour récupérer un couteau dans une cuisine. Le parallèle est évident… Cette fois, Snyder privilégie les ralentis pour un résultat visuellement plus proche de ses films précédents. Si la chorégraphie est plutôt satisfaisante (sans être aussi percutante que celle des tranchées), le montage abuse des effets de vitesse et finit par lasser. Pourtant, ce n’est pas le plus gros défaut de ces évasions dans l’imaginaire. Une scène va prouver qu’elles n’ont aucun intérêt narratif de façon évidente, prouvant par la même occasion que Snyder n’a aucune idée de ce qu’il raconte, puisqu’il se contredit systématiquement. En effet, comment ne pas voir une contradiction entre les propos de Sweetpea ironisant sur les fantasmes des tenues d’écolière alors que les héroïnes sont vêtues de cuir et de bas résilles pendant la majorité de l’histoire ?  



Ainsi, malgré l’aspect divertissant de certaines scènes, leur manque de légitimité narrative, l’absence de symboles et d’enjeux donnent l’impression que l’ensemble est plus long qu’une heure quarante, ce qui n’est jamais bon signe. Dans la dernière partie, Snyder va orchestrer son pire mouvement : n’ayant apparemment pas conscience de l’ineptie de son scénario, il abandonne l’action pour tenter de nous prouver la légitimité de son propos. Ayant sans doute vu Shutter Island pendant qu’il tournait, il tente de créer un effet similaire, en dénonçant certaines pratiques des institutions psychiatriques d’antan. Mais son traitement glamour est indigne. En jouant sur les réalités, le réalisateur ne montre jamais ce que pouvait représenter la vie dans un asile à l’époque. Tout en se targuant d’ironiser sur les fantasmes des hommes, il dénature ce qui aurait pu se présenter comme une dénonciation poétique. Alors que la confrontation entre délire et réel est intéressante et donne un impact émotionnel à une scène en particulier, il ne parvient jamais à dépasser le stade de la bonne idée, trop occupé à donner un aspect « cool » à son film. Les personnages ont tellement peu de substance que leurs actes, en contradiction avec ce qu’ils sont, amoindrissent encore le peut d’éléments dramatiques ayant du potentiel. Concrètement, si l’on ne tient compte que des passages présentés comme « réels », il n’y a aucun élément qui puisse laisser penser que Babydoll souffrait de troubles psychiatriques avant son arrivée à l’asile (puisque le coup de théâtre pré-final vient confirmer la véracité de l’intrigue du beau-père), or, l’ensemble de son délire semble prouver le contraire. La propension du réalisateur à abuser de cette facilité scénaristique qu’est la folie pour assener ses expérimentations visuelles confirme largement qu’il ne se soucie nullement de la cohérence de son récit, mais constater que jusqu’au dernier moment son intrigue est sans queue ni tête n’est pas plaisant. Mais c’est bel et bien la conclusion qui achève de montrer que Snyder ne comprend pas ce dont il parle. La « morale » est tout simplement aberrante et encore une fois, indigne pour quiconque à la moindre notion de ce qu’est la maladie psychique. Après avoir regardé de haut le public qu’il visait en ironisant vaguement sur ses fantasmes, Snyder tente finalement de nous prouver qu’il est plus malin que nous. Mais sa narration manque tellement de subtilité qu’on en vient à se demander si le twist est censé nous surprendre. Finalement, le message simpliste est aisé à comprendre, mais c’est son exécution qui est confuse.


Sucker Punch avait le potentiel pour être un divertissement écervelé mais sympathique. Mais le scénario riche en incohérence, le manque de sens de la narration, la prétention, et surtout le traitement indigne de la maladie psychique ne permettent pas de se montrer aussi indulgent qu’on aurait voulu. Pourtant, la bande originale est sympathique, certaines scènes d’action sont vraiment spectaculaires, et visuellement le travail est considérable. Mais quand on n’a rien à raconter, il est de mauvais goût de ne pas se montrer humble. Espérons qu’à l’avenir Zack snyder ne reprenne plus la plume et se contente de manier la caméra.

10 commentaires:

  1. C'est intéressant d'avoir 2 points de vue même si finalement vous êtes à peu près sur la même longueur d'ondes. Toujours est-il que je n'étais pas du tout intéressé par ce film mais là encore moins :D
    Par contre Léo moi j'aurais plutôt conclu en disant qu'il faut surtout que les geeks arrêtent de faire des films ^^ C'est pas des cinéastes ces gens là, ils sont tout juste bons à faire des clips pour MTV !

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  2. Je suis également partagé. La bande-annonce ne mentait pas sur le contenu du film. L'action y est soutenue, et visuellement c'est assez fort, et le scénario est pauvre, voire n'est qu'un maigre prétexte pour l'action en question. On pourrait se contenter de ça, mais c'est vrai qu'un peu plus d'épaisseur et de cohérence n'aura pas nui !

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  3. elle mentait tout de même un peu: elle ne montrait pas que malgré la stupidité de l'histoire, Snyder tenterait de jouer les intellos avec son message indigne.

    @jeff: snyder a un vrai sens du style. C'est surtout qu'il faut qu'il cesse d'écrire. Ce n'est pas un narrateur né non plus, mais avec une bonne équipe, je pense qu'il peut faire du bon travail. superman man of steel va permettre d'en juger en tout cas.

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  4. Je n'ai lu que les critique d'Anel mais je ne suis pas du tout d'accord ! les dialogues ne sont pas nul, et le scénario non plus d’ailleurs. Si tu dit que l'histoire aurai était plus intéressante si ont voyait du côté de l'asile et que tu critique lorsqu'elle rêve...Réinvente totalement le film. Après c'est subjectif chacun ses goûts.

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  5. fichtre, je me fais voler la vedette par mon invité! chère ReBK, nous sommes bien d'accord sur la notion de subjectivité, raison pour laquelle chacun est libre d'exprimer son avis, et donc de ne pas aimer le film. Néanmoins, même si tu ne partages pas cet opinion, il me semble qu'Anel a largement précisé les raisons pour lesquelles il ne jugeait pas le scénario intéressant. Quant à moi, je ne dirais pas que le scénario est mauvais, je me contenterais de constater qu'il n'y en a pas.

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  6. J'ai adoré ce film ! Il est tout simplement génial, des effets spéciaux impressionnant, une bonne mise en scène et une bande son parfaite, un film à ne pas manquer.

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  7. Tant mieux si tu as passé un bon moment. Je doute par contre que snyder retente de réaliser un de ses scénarios, vu les résultats décevants du box office. En revanche j'attends beaucoup de son man of steel, notamment parce que Goyer a l'air d'avoir une histoire audacieuse à raconter.

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  8. je suis allé voir le film et je le trouve super.Je veux bien être d accord que certains n'aime pas mais de la a dire qu'il n'est pas a voir,NON! c'est un film a voir pour se qu'il est car il est vraiment bien et c'est un de ces film ou il faut se creuser la tête un peu pour voir le message derrière (même s'il n'est pas évidant a trouver). Même juste pour le plaisir des yeux et des sons il est déjà parfait (je tient a signaler que je suis une fille donc il ni a aucune idée "pervers").

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  9. Pour qu'il y ait un débat, il faut que les interlocuteurs évitent de faire des raccourcis et de déformer les propos. Tant Anel que moi avons mis en exergue les qualités de la réalisation autant que les défauts du scénario. Par contre je refuse d'adhérer à l'idée que Sucker punch possède un scénario. Le soi-disant message caché est d'une puérilité révoltante qui démontre que Snyder n'a aucune idée de ce qu'est la maladie mentale. Son message est évident au contraire, car il n'a cesse de nous le jet au visage, par sa narration qu'il ne maitrise pas, mais aussi par certains choix de montage (notamment l'utilisation de chansons dont le sens est d'une subtilité pachydermique). Qu'on aime le film est une chose, qu'on veuille le faire passer pour une oeuvre intellectuelle en est une autre. Il n'y a aucune réflexion derrière le propos, tout juste une excuse pour ne pas assumer le caractère insipide du spectacle. Quand à dire qu'il s'agit d'un film parfait, cela sous-entend donc qu'il y a une ojectivité dans l'art. ce n'est pas ma conception. Aucun film n'est parfait de toute évidece, puisqu'aucun film ne plait à absolument tout le monde. Sinon je suis surpris de voir plusieurs messages successifs sur sucker punch alors que sa sortie remonte à près de deux mois maintenant. Vous ne l'avez vu que récemment?

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  10. c'est vrai que j'ai eu du mal à comprendre... j'ai même abandonnée(j'ai cru par un moment que baby doll inventait la danse pour cacher ses viols dans l'asile et qu'elle s'imaginait garder sa viriginité malgrè tout ça... là limite, ça aurait été plausible: le defouloir imaginaire de la jeune fille) mais non. j'adore le fait qu'on puisse se battre, voir les choses comme on le souhaite et permettre le combat, se surpasser pour survivre, pour se sentir vivre même si les monstres ne representent pas vriament leurs veritables ennemis(à part le fragon peut être: le maire=>la mère qui ne doit pas se reveiller (dacce au spectacle ou au fond de l'espece de tour).

    Juste une petite critique: pour moi le fait qu'elles se battent en petite tenue en dit long: malgré les apparences les femmes n'hesiteraient pas à combattre à coup de poings ou de fusils... elle restent feminines et s'assument, sans pour autant etre faibles. N'est-ce pas là le probleme? une femme qui sort sans maquillage est tout de suite masculinisée alors qu'une femme qui s'habille en femme cocette et maquillée quelque soit son jour, peut etre condidérée comme faible, soumise et sans personnalité. Ou l'idée de la femme objet souvent considérée comme produit de consommaton: une femme ne peut pas se sentir belle sans qu'elle soit pour autant prise comme une espece d'appel au desir. Ici les deux se melangent. Malgrè les apparences les filles aussi aiment le style, l'action et la violence, elles ont confiance en elle et se sentent forte. En tant que fille j'ai largement approuvé! au moins une idée positive ;)

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