samedi 30 avril 2011

Action Comics 900

 
Il existe une tradition dans le monde des comics qui remonte à des temps immémoriaux. Elle consiste à faire de chaque centième numéro d’un titre une véritable fête. Scénaristes et dessinateurs célèbres ou ayant tout simplement travaillé sur la série sont alors invités à l’événement, soit dans le cadre d’un long épisode s’inscrivant dans la continuité de la série habituelle, soit dans le cadre d’une succession de petites histoires, généralement plus intimistes que la moyenne. Action Comics est une publication qu’on qualifier sans exagérer de légendaire. C’est en effet dans le premier numéro, publié en avril 1938 que Jerry Siegel et Joe Sushter ont présenté au monde l’un des plus grands super héros existants, Superman. Pendant des décennies, l’homme d’acier va donc être l’attraction de ce titre, jusqu’à récemment, puisque depuis l’épisode 875 il s’en est éloigné. Aujourd’hui, c’est de l’épisode 900 dont il est question, un numéro qu’on peut qualifier d’impressionnant. Et Dc comics a décidé de mettre les petits plats dans les grands en invitant une liste d’auteurs illustres. Outre Paul cornell, scénariste actuel, on retrouve ainsi Damon Lindelof, co-créateur de la série tv Lost, Paul Dini, célèbre pour sa participation au dessin animé Batman des années 90 et toute une série d’épisode de Detective Comics, Geoff Johns, qui s’est illustré sur Green Lantern, David S. Goyer, qui a co-écrit les scénarios des Batman de Christopher Nolan, et Richard Donner, réalisateur de Superman Le Film. Ce sont les noms les plus célèbres que l’on trouve dans ce numéro spécial, et ils sont épaulés par des artistes talentueux qui apportent tous une touche personnelle aux exploits de l’homme de Krypton.
 

Et pour bien démarrer, Paul Cornell offre au lecteur l’affrontement final entre Superman et son ennemi juré, Lex Luthor, qui conclue le terrible arc Reign Of Doomsday. Cette cinquantaine de pages s’inscrit donc dans la continuité d’une histoire et peut décontenancer par l’alternance des histoires. Deux partis pris radicalement opposés s’affrontent durant ces cinquante pages. C’est en suivant superman qu’on apprend que Superboy, supergirl, Steel, Eradicator, et le cyborg Superman ont été capturés par Doomsday. Ce personnage est célèbre pour avoir combattu l’homme de Krypton jusqu’à la mort dans le final du méga-crossover The Death Of Superman en 1993. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que son retour a été fracassant, puisque l’effroyable créature a passé les épisodes précédents à massacrer tous les héros affiliés à Superman, manifestant au passage des pouvoirs accrus, mais aussi la capacité de dupliquer ces de ses adversaires. Cette partie de l’intrigue est pleine de suspense et d’action, et s’inscrit tout à fait dans la logique du titre. Mais c’est plutôt l’affrontement entre l’homme d’acier et son ennemi de toujours Lex Luthor qui marquera les esprits. Annoncée comme leur ultime confrontation, cette rencontre est bien plus intimiste et s’appuie sur les fondements de chacun des personnages. Certains éléments ne sont d’ailleurs pas sans rappeler le dernier épisode du All-star Superman de Grant Morrison. Mais Cornell parvient à construire un crescendo dramatique qui lui est propre, et qui culmine dans un final surprenant mais bien amené. Cette conclusion (mais en est-ce vraiment une ?) ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais elle résume très bien les liens qui unissent les deux adversaires ainsi que la complexité et l’ambiguïté de l’identité de chacun. Mais c’est surtout la comparaison entre leurs deux destins qui permet de remettre en perspective leur essence, et de ce point de vue, l’écriture de Cornell est à la hauteur. Pete Woods aux dessins ne démérite pas, dans un style qui rappelle parfois le dessinateur de Marvel Terry Dodson, qu’on a pu voir à l’œuvre dans Marvel Knights : spider-man. Il parvient à créer ce sentiment d’alerte permanent, tout en exprimant bien les émotions des protagonistes, son crayon est fin et esthétique, dans un style très comics, sans trop verser dans le cartoon. Mais c’est véritablement dans la dernière partie de cette histoire que dessinateur et scénariste vont se dépasser pour donner au lecteur son quota de frissons… Avant de laisser la porte ouverte aux artistes invités pour l’occasion.



C’est Damon Lindelof, scénariste de la série Lost, qui ouvre le bal avec une histoire simple mais touchante. Les adeptes de la série ont déjà eu l’occasion de constater la facilité avec laquelle il parvient à rendre ses personnages attachants, et une fois de plus, il parvient à dire beaucoup en peu de pages. La non linéarité de la chronologie donne envie de relire immédiatement l’histoire, sans que sa compréhension soit complexe, mais plutôt afin d’en saisir la profondeur dans son ensemble. Le découpage très cinématographique s’inscrit pleinement dans cette attention aux détails, qui donne vie à des scènes crédibles. L’alternance des scènes, appuyée par des changements de couleurs adaptés, permet de varier les tons et d’accompagner les émotions. Il faut dire que les dessins de Ryan Sook dégagent une véritable sincérité, n’exagérant jamais les traits ni les expressions pour un rendu plutôt réaliste qui sied au ton de l’intrigue. Une histoire courte mais forte plaisante. C’est le fameux Paul Dini qui prend la suite pour une histoire d’à peine trois pages qui se présente immédiatement comme plus fantaisiste. L’aspect extra-terrestre est mis en avant tant visuellement que narrativement, lors d’une conversation à la limite de la théologie. Le travail sur la couleur est très intéressant, mais Superman a davantage l’air d’un clown costumé que d’un héros intergalactique. La conclusion, d’une gentille ironie, nous rappelle néanmoins que la plus grand force de Dini, c’est le développement de la psychologie de ses personnages. L’histoire de Geoff Johns semble agir en miroir de celle de Dini, présentant une tranche de vie de Lois et Clark, tout en rappelant que le plus humain des aliens n’en reste pas moins un extra-terrestre. Là encore, la durée de trois pages (dont une double) ne permet pas de développer une intrigue conséquente, mais est exploitée avec beaucoup d’intelligence par un scénariste qui connaît l’univers de Superman, et un dessinateur qui marie le côté cartoon et le réalisme avec beaucoup d’harmonie.


C’est David S. Goyer, co-scénariste de Batman Begins et The Dark Knight qui s’occupe de raconter une histoire appelée Incident. Ce dernier a écrit le scénario du reboot cinématographique des aventures de l’homme d’acier, Superman : Man Of Steel. Il a annoncé à cette occasion qu’on y découvrirait un Clark Kent reporter de guerre couvrant les conflits militaires aux quatre coins de la planète. Ainsi, en voyant Superman voler jusqu’en Iran et s’interposer entre des manifestants et l’armée, on peut se demander si le scénariste ne livre pas quelques pistes de son film. Mais au-delà de ces interrogations, il est intéressant de noter la polémique qu’a soulevé cette histoire depuis sa parution. On y voit en effet le héros renoncer à la nationalité américaine, afin que ses actes, qu’ils soient politiques ou non, ne soient pas associés au gouvernement des USA. Comme si Goyer évitait à son Superman de devenir le mercenaire pathétique dépeint par Frank Miller dans The Dark Knight Returns. Mais surtout, il convient de s’interroger sur la portée de cet acte, surtout quand on voit la façon dont il est interprété par les lecteurs américains, et dont il serait certainement interprété par les américains du comic. Qu’est-ce que se battre pour le rêve américain finalement ? Récemment, on a davantage lu ce genre d’interrogations dans les pages de Captain America, mais Superman est tellement associé à l’Amérique, qu’on ne peut que se féliciter de voir cette question soulevée. Elle l’était déjà plus ou moins dans le Superman Red Son de Mark Millar, qui voyait son vaisseau atterrir en URSS et non aux USA. Mais cette fois, le héros choisit lui-même de renoncer à cette part de son identité, développant sa quête identitaire entamée avec l’arc décrié de J.M Straczynski, Grounded. Veut-il se battre pour défendre les idéaux américains, ou bien son combat est-il bien plus important ? Il y a une véritable remise en perspective des enjeux de son existence même, et du combat qu’il a mené jusque-là. Ce parti pris, pour le moins audacieux, ouvre la porte à un nombre incroyable de possibilités, et bouscule le statu quo avec une force qui n’est pas du goût de tout le monde. Mais au-delà de cet aspect purement polémique, c’est la qualité de l’écriture qui permet de rendre crédible non seulement le positionnement de Superman, mais aussi les réactions de son interlocuteur. Il s’agit ainsi d’une histoire intimiste digne de la tradition des 100ème numéros, mais aussi de la plus audacieuse de cet épisode spécial. C’est finalement Richard Donner, réalisateur de Superman The Movie, qui nous livre un scénario intitulé Only Human. Et il faut bien avouer que de premier abord, l’ensemble n’est pas très attirant. Outre les dessins tristounets de Matt Camp, on notera un choix de couleurs de fond aussi surprenant que regrettable. L’histoire en elle-même est rédigée sous forme de scénario, avec description et dialogues et montre comment un héros de la classe de Superman peut succomber au plus humain des sentiments la jalousie, illustrant le titre de façon amusante. Sympathique mais pas mémorable.



Finalement, Action Comics 900 est une lecture recommandée pour les fans de l’homme de demain, qui non seulement lirons des histoires intimistes exprimant de façon touchante les raisons qui font que Superman est un héros attachant, mais aussi quelques questions plus audacieuses… et une bonne dose d’action et de suspense !

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