lundi 28 mars 2011

Sunshine

Habitué des mises en scène destinées à la télévision, c’est au milieu des années 90 que le réalisateur Danny Boyle atteint la renommée en réalisant successivement Petits Meurtres Entre Amis, Trainspotting et Une Vie Moins Ordinaire. Artiste versatile, il refuse de confiner son cinéma à un genre en particulier et multiplie les expériences. En 2002, il se lance pour la première fois dans le fantastique avec 28 Jours Plus Tard, qui rend populaire les fameux infectés qu’on confond souvent avec des zombies, alors qu’ils sont plus rapides que ces derniers, et surtout qu’ils ne sont pas morts-vivants. Avec Sunshine, l’artiste revoit ses ambitions à la hausse, puisque le budget est trois fois supérieur à celui de 28 Jours Plus Tard. De même, le travail sur les effets spéciaux défie toutes les expérimentations visuelles que le réalisateur a eu l’occasion de mener jusque-là. Pourtant, Sunshine reste une petite production au regard des blockbusters hollywoodiens au sujet proche. Le film de Michael Bay, Armaggedon, dont les enjeux dramatiques sont très proches, dispose à titre d’exemple d’un budget plus de cinq fois supérieur. Mais là où le cinéma américain livre un film au sentimentalisme exacerbé, qui privilégie l’émotion romantique, le réalisateur britannique préfère une approche plus intellectuelle, qui peut paraître plus froide de prime abord. La science-fiction d’anticipation n’exclut pas nécessairement l’émotion, comme l’a prouvé Andrew Niccol avec son Gattaca, mais on retrouve souvent une atmosphère désespérée plutôt qu’un monde de romance. Que ce soit dans les écrits de A. E. Van Vogt, de Asimov, ou de K. Dick, c’est avant tout la peur d’un monde en proie à la perte d’humanité et à la paranoïa qui caractérise la science-fiction. Si l’on devait se fier à l’imagination de ces artistes pour qualifier notre futur, on pourrait parler d’un sentiment de perte avant toute chose.



Un constat qui s’illustre dès les premières images, qui s’ouvrent sur un travelling approchant du soleil, dont on apprend par la voix off de Capa, le personnage interprété par Cillian Murphy, qu’il est sur le point de s’éteindre. Passée cette brève introduction, Boyle n’aura plus recours à cet artifice et limitera au maximum les scènes d’exposition. Si bien que le spectateur est immédiatement dans le feu de l’action. Ce parti-pris confère une cohérence au récit, puisqu’à aucun moment le réalisateur n’abreuve le spectateur d’informations superflues. Pourtant, le rythme n’est pas frénétique, loin de là. Il s’agit davantage d’un film psychologique que d’un film d’action. La mise en scène s’annonce d’ailleurs plutôt calme dans un premier temps, alternant plans fixes et travellings lents, qui permettent de découvrir les lieux, de contempler les réactions des protagonistes, et de s’immerger dans l’espace. Et c’est bien là l’une des forces, sinon la force de Sunshine. Nous faire ressentir le vide, le calme de l’espace, mais aussi le tumulte des relations entre les astronautes, confrontés à une tragédie aussi imminente que probablement inévitable. La scène du cauchemar de Capa est très représentative de cette alternance, puisqu’on passe d’un montage très nerveux à une scène de dialogue lente et apaisante. On constatera d’ailleurs que les deux dialogues entre ces personnages sont filmés de profil, comme si leur destin était peint comme il devait l’être quoi qu’il puisse arriver. Très peu de détails sont donnés sur les protagonistes, et on apprend leur prénom tardivement, on pourrait donc imaginer qu’il est difficile de s’identifier ou de s’attacher à eux. D’autant plus que tous ont des personnalités très fortes. Mais la direction d’acteurs est excellente, et chaque interprète confère une humanité des plus convaincantes à son personnage. Qu’il s’agisse de la culpabilité d’une simple erreur qui met la mission à mal, de l’esprit de sacrifice pour sauver l’humanité, ou encore de s’interroger sur la légitimité de prendre une vie, les choix, les dilemmes des protagonistes sont crédibles, en grande partie grâce à des acteurs très engagés.




Mais ce qui caractérise avant tout Sunshine, ce qu’on conservera en mémoire longtemps après l’avoir vu, c’est le mélange toujours harmonieux entre les superbes partitions de John Murphy, et les images très impressionnantes. A ce titre, Adagion In D Minor, récemment reprise dans la bande originale du film Kick-Ass et dans la bande annonce The Adjustment Bureau (adaptation d’une nouvelle de Philip K. Dick mettant en scène Matt Damon et Emily Blunt), est une mélodie d’une puissance incroyable, montée avec pertinence lors de deux scènes très réussies qui résument à elles seules l’importance de la mission du groupe et la détermination de chaque membre. Boyle parvient à créer plusieurs sentiments chez son public, grâce à un montage qui alterne les scènes calmes et le suspense frénétique. Le calme et l’immensité de l’espace sont particulièrement convaincants, et remettent en perspective l’existence de l’homme, et l’importance qu’il accorde à sa présence. Mais les passages plus tendus, comme les confrontations musclées d’opinion bénéficient d’une mise en scène qui au premier abord peut paraître confuse, mais retranscrit parfaitement le chaos ambiant. Ainsi, comme les protagonistes, le spectateur est toujours surpris, et il n’est pas aisé d’anticiper les événements à venir. On se doute bien sûr que la mission risque d’être plus complexe que prévue, mais les événements s’enchaînent de façon imprévisible sans paraître trop incohérents. Dans un premier temps, c’est la rationalisation qui sera privilégiée par l’équipe de scientifiques.



De ce point de vue, Hiroyuki Sanada interprète un commandant très convaincant, sûr de lui et rassurant, privilégiant les solutions les plus logiques. Michelle Yeoh interprète un personnage assez similaire, mais dont l’humanité s’exprime davantage, à travers sa passion pour le jardin à oxygène du vaisseau. Mais ce sont finalement Chris Evans en tête brûlée prête à tout pour accomplir sa mission, et Cillian Murphy, en scientifique passionné qui s’imposent dans les rôles les plus marquants. Malgré ces caractères très marqués, Boyle parvient à donner vie au personnage sans verser dans la sensiblerie. Ainsi, certaines scènes sont très marquantes, puisqu’il est difficile de prévoir qui va mourir ou non, sans qu’on n’oublie jamais que les personnages iront jusqu’au bout de leur mission quoi qu’il puisse leur en coûter. La perte d’humanité est à ce titre aussi frappante que mise en valeur sans trop d’insistance, si on oublie la scène où le personnage de Chris Evans en fait la déclaration. Ce traitement qui peut paraître froid permet de s’identifier aux personnages et donne une cohérence au propos qui ne s’éloigne pas de cette ambiance de fin de monde. On pourra cependant regretter le propos presque mystique de la dernière partie du film, annoncé de façon surprenante dès la déclaration sur la poussière. Les interrogations sur la légitimité de la mission au regard de l’aspect naturel de l’extinction d’un soleil auraient pu être posées de façon plus rationnelle. Un choix qui aurait été davantage en phase avec la conception très scientifique des personnages. Bien sûr, ce changement de ton confronte justement deux visions de la vie, mais on peut également y voir une facilité qui transforme ce qui était une étude de personnages en une sorte de survival spatial à tendance métaphysique. Et si ce choix donne lieu à des scènes visuellement intéressantes, il est source d’une frustration moins satisfaisante sur le plan intellectuel. Malgré tout, cette partie reste très bien réalisée. Le suspense y est mené de façon très efficace, immergeant le spectateur dans cette poursuite réellement surréaliste. On en vient rapidement à se demander la nature de ce mal, notamment grâce à un effet de flou récurrent qui oblige à s’interroger sur la véracité des événements et sur la perception des personnages. Ce mélange entre science-fiction pure et fantastique à la limite du surnaturel rappelle dans une moindre mesure le Event Horizon de Paul W.S. Anderson.



Et Si Boyle reste un réalisateur bien plus subtil que le metteur en scène américain, il n’évite pas quelques métaphores un peu abruptes. Outre celle de la poussière, l’expression « sang sur les mains » sera illustrée de façon appuyée. On a donc parfois l’impression que le scénario n’est pas tout à fait maîtrisé, à cause d’un traitement parfois plus grossier. Mais globalement, Boyle parvient à mettre en scène une œuvre visuellement très forte, remplies de scènes marquantes, et surtout à faire vivre ses personnages dans un espace dont l’immensité est plus frappante que jamais. Le rendu de certaines scènes est d’ailleurs tout simplement vertigineux, grâce à un montage vraiment astucieux. Sunshine est une œuvre qui peut décontenancer, à cause de deux parti pris qui ne paraissent pas toujours se mêler de façon harmonieuse, mais la qualité de ses images, de son interprétation, le côté épique de certaines scènes, et la capacité du réalisateur à immerger le spectateur dans son histoire justifient largement le visionnage.

3 commentaires:

  1. Un des meilleurs films de SF de la décennie passée !

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  2. Un des meilleurs films de SF de la décennie passée !

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  3. C'est en tout cas un film audacieux, tant visuellement que narrativement!

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