jeudi 7 avril 2011

La Divine Comédie


Il y a des lectures qui glacent le sang, et dont l’impact se mesure des années après leur découverte. Si C’est Un Homme de Primo Levi peut difficilement laisser indifférent, tant sa description de la survie dans un camp de concentration est immersive. Le chapitre évoquant certains passages du volume L’Enfer de La Divine Comédie prend alors un sens particulier. Le choix de vers particulièrement fatalistes entonnés par les déportés rappelle le désespoir profond de leur quotidien et le manque d’humanité de leurs conditions de vie. Mais il démontre également que le dénuement le plus total ne soustraie pas l’homme de sa spiritualité. Ces citations m’ont longtemps marqué, sans que j’entreprenne pour autant la lecture de l’œuvre de Dante. Cette critique est donc un peu à part : pour commencer, elle s’inscrit dans la logique d’une série d’articles hors-sujet plus fréquents. Par le passé, je n’ai que rarement rédigé de chroniques qui ne soient pas directement liées aux comics ou aux zombies. Ces deux thèmes resteront le sujet majeur de ce blog, néanmoins il me paraît important d’apporter un peu de diversité. C’est également le premier texte dans lequel j’emploie la première personne du singulier. Habituellement, je favorise une approche plus contextuelle, mais la découverte de La Divine Comédie est une véritable expérience humaine, c’est pourquoi il me paraît indispensable d’apporter une implication plus personnelle à ce texte. Ainsi, c’est en 2009 que j’ai découvert les premières images de Dante’s Inferno, adaptation vidéoludique du premier volume de l’œuvre de Dante. Ce jeu raconte comme un croisé nommé Dante est descendu en enfer afin de sauver sa bien-aimé, condamnée à cause d’un pêché que lui-même a commis. C’est donc sous la forme d’un beat’em all inspiré de la saga God Of War que Visceral Games a adapté un poème épique. Cette sortie a réveillé mon intérêt, et j’ai décidé de faire l’acquisition d’une traduction intégrale de ce que Dante appelait sa comédie, le terme divine ayant été ajouté bien plus tard. Car il est important de savoir que la plupart des éditions françaises sont amputées de plusieurs passages afin de rendre le texte plus accessible. Si ce choix éditorial est compréhensible dans une certaine mesure, il n’a absolument aucun sens. La structure de chaque volume est étudiée avec une précision mathématique. Ce découpage a un sens symbolique très fort, qui n’existe plus si on charcute l’œuvre. C’est donc du côté de l’occasion que j’ai trouvé une édition datant de 1987, couronnée par l’académie française pour la qualité de ses commentaires.



Regroupant les 3 volumes, elle présente également des dessins de Gustave Doré illustrant le voyage de Dante et Virgile. Le traducteur commence par présenter le contexte de l’époque de Dante ainsi que la vie de l’auteur. Cette introduction permet de comprendre les idéologies politiques qui s’affrontaient ainsi que leur importance dans l’évolution spirituelle de Dante. Issu d’une famille modeste, Dante est par nature un guelfe blanc, c'est-à-dire un partisan de la papauté, mais dont l’origine sociale crée des distancions avec les guelfes noirs, représentant l’élite florentine. Mais malgré une vie politique importante, durant laquelle son appartenance aux guelfes blancs le contraindra notamment à l’exil, Dante prend une position plus précise. Il devient gibelin et défend ardemment l’existence d’un empereur unique souverain, et donc la séparation des pouvoirs. Cet élément a un véritable sens dans La Divine Comédie et explique certains choix narratifs. Mais surtout, le traducteur nous raconte la rencontre entre Dante et Béatrice, qui lui inspira l’écriture de La Vita Nova et plus tard La Divine Comédie. Après cette courte biographie, une présentation du premier volume, L’Enfer, permet d’en comprendre la structure et le sens des nombres qui la composent. La numérologie a en effet un sens très particulier qui ajoute encore en densité. Sans ces présentations, je ne pense pas que j’aurais eu la présence d’esprit de chercher le sens de ce découpage. Il serait de toutes manières présomptueux de croire qu’on peut comprendre l’intégralité d’une œuvre aussi complexe que La Divine Comédie. L’édition contient plusieurs centaines de pages de commentaires, et rapidement il devient pesant de passer d’une note de bas de page à la fin du livre. Bien sûr, il est indispensable de consulter ces notes pour comprendre les nombreuses références historiques et les allusions à des personnalités de l’époque. C’est en tout cas nécessaire quand on ne possède pas une culture encyclopédique. Mais en tant qu’adepte de la subjectivité et athéiste de l’objectivité, il me semble que la lecture d’un ouvrage est personnelle. En commençant La Divine Comédie,  j’ai eu la sensation d’être confronté à une invitation à la spiritualité. S’il y a une véritable approche didactique, l’ensemble n’est pas dogmatique et reste accessible même à un lecteur athée. Mais pour m’imprégner de cette spiritualité, il m’a fallu arrêter de lire les notes de bas de page renvoyant à la fin du livre pour un commentaire plus précis. J’ai eu besoin de me laisser porter par le texte, afin d’en saisir l’essence. Car avant d’être une réflexion théologique, la comédie de Dante est un poème. N’ayant pas de connaissances en italien, je ne peux me baser que sur la traduction en ma possession. Les phrases sont longues et leur construction ayant sans doute inspiré celle des répliques de maître Yoda n’en facilite pas la compréhension. Il faut parfois s’y reprendre à plusieurs fois pour saisir le sens d’un paragraphe. Mais malgré cette complexité, la magie des mots opère. Le texte de Dante provoque de l’émotion. Chacun des trois volumes est unique, mais il y a une véritable unité d’ensemble, une véritable évolution. Les échanges entre le poète Virgile, qui sert de guide à Dante, et ce dernier, sont un repère pour le lecteur. Les intentions de l’auteur sont alors plus perceptibles. Dans le dernier volume, Le Paradis, c’est Béatrice qui initie Dante à une forme de pensée supérieure.



Le schéma reste relativement similaire d’un volume à l’autre, mais c’est le ton qui change. L’Enfer baigne dans une atmosphère violente et presque glauque. Dante est perdu dans une forêt sombre et il fait nuit lorsqu’il franchit les portes du royaume de Lucifer. Son chemin est peuplé d’âmes torturées et cette traversée pourrait tourner au règlement de comptes. En effet, la connaissance relative de la vie de Dante permet de constater qu’il place en enfer des personnes de son entourage. Mais même si certains suppliciés étaient des adversaires politiques de l’auteur, il n’épargne pas non plus ses amis, et ces choix ont toujours une logique idéologique qui dépasse la vendetta. Dante défend ainsi sa conviction qu’il est indispensable de séparer les pouvoirs politiques et l’église. Mais au-delà de ce pamphlet politique, c’est la description des cercles et des tourments qui y sont infligés qui interpelle. A ce titre, le travail visuel du jeu Dante’s Inferno est époustouflant, et sans être identique à ce qu’on imagine à la lecture, il donne vie de façon convaincante à cet enfer cauchemardesque. Chaque ver dépeint une succession de cercles à l’ambiance étouffante (9 en tout) où tous les maux sont distingués et punis de façon unique. La descente et le rétrécissement conséquent des cercles donnent la sensation que la pensée se précise. Quand le duo franchit le pied de Lucifer, c’est une bouffée d’air et le début du purgatoire. Véritable récit de transition, ce volume s’inscrit dans une approche plus intellectuelle que l’enfer qu’on appréhende davantage en termes de sensations. Il est plus question d’apprendre en purgeant ses pêchés que d’être puni pour ses crimes. L’élévation spirituelle est ainsi au centre d’un propos qui se veut plus didactique. La poésie opère moins, mais l’invitation à la réflexion est plus évidente. Le côté moins imagé rend ces chants moins marquants. Quand Dante atteint le paradis et le lecteur le troisième volume, la poésie suprême reprend ses droits. Le discours lumineux éblouit par des images à la symbolique forte. L’amour charnel cède la place à un amour universel et une ouverture au monde renforcée. Les vers de ce volume restent complexes, mais leur lecture est une véritable source d’apaisement. L’articulation est vraiment harmonieuse.



La Divine Comédie est une œuvre dense, et on comprend aisément le sens de l’emploi actuel du mot « dantesque » à sa lecture. La somme de connaissances, la richesse des descriptions et la profondeur de la réflexion nécessiteraient des lectures répétées. Mais le plus important reste l’harmonie qui s’en dégage, surtout si on se laisse porter par la poésie. Dante parvient à transmettre un message dépassant la simple théologie et susceptible de toucher tout le monde. Il transcende le concept d’humanisme et invite à l’acceptation. La Divine Comédie est un ouvrage fondamental dont l’influence est évidente, et qui mérite qu’on s’y intéresse, et pas seulement pour son importance historique.

2 commentaires:

  1. Amusant, je m'apprêtais justement à attaquer la lecture de ce chef d'oeuvre de la littérature mondiale...

    Si je peux te conseiller une autre description de l'enfer et du Diable, beaucoup plus récente celle-là, d'un auteur très particulier : Maurice G. Dantec - la troisième partie d'Artefact (2007). Ca décoiffe...

    Au fait, c'est quoi un "athéiste de l’objectivité" ??

    Ghost Dog

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  2. Je dirais que c'est quelqu'un qui estime que croire en l'objectivité est une forme de religion, et qui ne se retrouve pas dans de tels préceptes.

    Merci pour le conseil, je vais me pencher là-dessus quand j'aurai terminé le cycle fondation d'asimov!

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